Bref retour a Soubaka
J'avais promis à mes hôtes de Soubaka de revenir leur offrir quelques jours de travail, n'ayant rien pu faire durant mon premier séjour. Ils avaient souri.
La mine décidée que j'affiche alors que j'atteins à nouveau le village les contraint pourtant à m'autoriser à accompagner Bayoromou à la récolte du maïs dès le lendemain.
Les trois quarts d'heures de marche qui y mènent se transforment en leçon de brousse : C'est avec les branchages feuillus de cet arbre que Bayoromou confectionne de petites boules qu'il fera bouillir dans le canari, obtenant un jus protégeant ses enfants contre le palu (3 boules pour les filles, 4 pour les garçons.) C'est dans tel autre arbre qu'il me désigne une ruche artificielle, créée à l'aide d'un échantillon de ruche sauvage placé au centre d'un tronc de rhônier évidé. A la saison sèche, les hommes trouvent facilement le temps de s'attaquer aux ruches naturelles. Ils grimpent aux arbres pour les enfumer, faisant fuir leurs créatrices ailées, afin de subtiliser des pans entiers de l'édifice dont ils tireront le précieux nectar. Toutes ces explications sont ponctuées de fréquents tirs au lance-pierre à l'adresse des nombreuses perdrix qui peuplent les branchages à l'ombre desquels nous évoluons. Au champ, Bayoromou réalise ma capacité à l'aider et s'excuse d'en avoir douté, prélude à une agréable journée de travail.
Le soir, chez Bassina, ce sont d'autres branchages que j'aperçois dans le bouillon du canari. C'est un féticheur qui les lui a prescrits pour le défaire de la sorcellerie dont il soupçonne être la victime, rien ne lui réussissant ces derniers temps. Il m'explique alors sa situation, bloqué au village par l'obligation qu'il a de s'occuper de sa vieille mère en tant que premier fils. Son père, il l'a perdu à ses 8 ans, et ce sont les neveux qui ont hérité de toutes les richesses du paternel, comme le veut la tradition. Sa mère, alors incapable d'assumer la petite famille l'a envoyé en côte d'Ivoire ou il a appris le métier de maçon. Trahi lors de l'achat d'un bus avec un "collègue", il est retourné à la terre et s'est fait une situation confortable en exploitant quelques hectares de cacao et café. Ce sont alors les conflits qui l'ont forcé à rentrer au village. Le jeune frère qui s'occupait de la maman à sauté sur l'occasion d'abandonner la charge à l'ainé, conformément à la coutume. Une cousine s'est emparée des terres en côte d'ivoire comme si de rien n'était . Coincé ici,en voulant à la moitié de sa famille,incapable de décrocher le moindre chantier, il attend que dieu fasse tourner la roue en sa faveur en subissant les gémissements de sa vieille mère aigrie.
Sa seule source d'air pur, c'est sa femme, Maorensi, qui garde toujours son petit sourire. Pourtant, elle est bloquée ici avec Bassina, et doit une soumission totale à sa belle-mère, suivant le code familial local.
5h30 le lendemain matin. C'est Fabagné qui me réveille et m'invite à enfourcher mon vélo pour le suivre. J'aurais du retourner au champ de maïs de Bayoromou, mais hier soir, toute la famille a été prévenue que la rizière d'une vieille maman affichait les nuances rougeatres qui exigent une récolte immédiate.Nous atteignons la rizière après 10 minutes de ballade à deux roues, les chevilles fouettées par les herbes ployant sous les rafraichissantes gouttes de rosée alors que la nature s'éveille. On sort alors les faucilles :
Vers 12h00, alors que la majorité des hommes valides de la grande famille s'est progressivement jointe à nous, nous soustrayons aux 10 cm de vase nécessaire à leur croissance les dernières pousses de riz. Nous nous joignons alors à l'un des cortèges féminin qui ont commencé d'acheminer la récolte vers l'aire ou elle sera battue.
Auparavant, la petite troupe se régale du véritable festin de riz que la vieille à fait porter là à l'attention de ceux qui lui rendent service, conformément à la tradition.
Les bols à peine vidés, alors que tout mon corps appelle une sieste, tout le monde se relève et amoncelle un premier tas de pousses de riz auxquelles les coups de baton rythmés vont bientôt arracher les premiers grains :
Vers 16h00, on donne avec une hargne joyeuse les derniers coups de baton,et, les pousses écartées, ce sont pas moins de 250 kilos de riz qui apparaissent, fuit de la dure journée de travail de 10 hommes et au moins autant de femmes. Le précieux butin rejoint vite les quelques sacs disponibles. C'est arrimés aux portes bagages de nos vélos qu'ils atteindront le grenier de la vieille. Dans la cour ou ce dernier s'érige, un second festin de riz invite à l'excès, accompagné de quelques litres de dolo.
Il restera une ultime étape avant de cuire le blanc grain des rizières : le pilage, travail exclusivement féminin, qui arrachera le grain à sa cosse, avant que le vent n'envoie cette dernière loin du butin.
Exténué, ayant le sentiment d'avoir "payé ma dette", j'annonce mon départ pour le lendemain matin et passe une dernière agréable soirée au village, discutant des projets d'avenir de mes hôtes auxquels je pourrais facilement donner un sacré coup de pouce. C'est que les modestes euros d'un étudiant français se transforment en une véritable fortune de paysan burkinabé lors de leur passage au faible franc CFA. C'est sur ses pensées que je m'endors, anxieux à l'idée de retrouver bientôt la jungle urbaine...