Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Carnet de déroute
8 novembre 2008

Une semaine de paix a Ziédougou

J'avale aisément les 7km qui séparent Ziédougou de Soubakaniédougou au petit matin et y trouve Madou, connaissance d'un ami. Il ne faut pas plus de 5 minutes pour que je me retrouve assis sous le manguier, entouré d'une bonne moitié du village, un thé dans la main (le coran ayant conquis le village, pas de dolo ni de bandji ici !).

panorama_sous_le_manguier_ou_l_on_passe_les_heures_chaudes_a_somnoler

Traité comme un prince, je vais devoir discuter ferme jusqu'à ce qu'ils acceptent de me laisser participer aux travaux des champs !

Pendant les 3 premiers jours, ce sera "kaba kari" (la récolte du maïs). Je me lève à 5h00 et enfourche mon vélo pour atteindre le champ, seul avec les premiers rayons du soleil, vers 5h30, afin de profiter de la fraîcheur matinale.

A 8h00, Madou, son petit frère Dramane et les deux cousins à sa charge Lhasso et Fadouga me rejoignent avec la bouillie de Maïs sucrée et citronnée ("baga") dont la déléctation est l'occasion d'une petite pause !

On reprend alors le travail en équipe :

Jusqu'à 11h00 environ, lorsque le soleil me rend la tache insupportable dans cette jungle urticante.

J'abandonne alors l'équipe pour aller dérouler ma natte sous le manguier, me languissant jusqu'à 15h00, entre le repas et les discussions brodées de françafricain et de djoula avec le 3ème âge. Cette génération a vu ses parents et grands frères enlevés par les blancs pour des années de travaux forcés en côte d'Ivoire, dont certains ne sont jamais revenus. Pourtant, la colonisation a très peu changé la vie au village, comme me le confient les anciens.

Seuls l'Islam, les forages assurés par l'état et les peuls (anciens nomades aujourd'hui sédentarisés à l'écart des villages qui ont lentement mais surement dépossédés les locaux de leurs troupeaux) ont modestement modifié leur mode de vie durant ce dernier siècle. Très peu d'enfants vont à l'école et la grande majorité des villageois ne sait ni lire, ni écrire, ni compter en dehors de la monnaie.

J'arrive parfois à m'extirper de ma torpeur pour aller donner quelques menus coups de mains au village, par exemple à la construction d'un nouveau grenier pour stocker la récolte. On fabrique les simili-briques à base de terre humidifiée et de paille , puis on les presse les unes sur les autres, sans oublier de déposer une couche de la substance collante libérée par cette étrange racine.

C'est encore l'occasion de surprendre les femmes au travail. Par exemple celui que demandent les noix de karité, généreusement dispensées par un arbre sauvage. Elles les pilent, les cuisent à l'eau ou à la vapeur suivant différents savants procédés :

C'est une vraie panacée qui offre aussi bien une crème régénérante qu'une huile délicieuse ou encore un véritable beurre. A ces deux derniers produits, on ajoute la potasse des cendres blanches tamisées pour obtenir un savon onctueux.

Vers 15h30, retour aux champs pour arracher encore ces épis que l'on jette en petit tas qui finiront regroupés au bord du sentier grâce aux femmes qui les transportent, comme tout le reste, sur leur tête.

Alors que je saisis machinalement un nième épi, un scorpion s'en extirpe paniqué et passe à quelques centimètres de ma main pour tomber à la même distance de mes pieds. C'est vers 17h30, alors que le soleil amorce sa descente que nous reprenons le sentier jusqu'au village. On profite des dernières lueurs du jour pour aller puiser à la force des pieds l'eau nécessaire à la rafraîchissante douche du soir, un simple mur abritant des regards faisant office de salle de bain. Pour les toilettes, pas de lieu défini, on trouve son pti coin en brousse !!

La douche représente le dernier moment de concentration de la journée et l'on peut enfin s'assoeir ensemble autour du thé et laisser la dopamine secrétée par tant d'effort parcourir le corps, procurant cette douce sensation de bonne fatigue. Plus rien n'occupe l'esprit et la tache accomplie rend le coeur léger. En attendant le thô ou après l'avoir englouti, les seules perturbations prennent la forme d'un petit délice discrètement déposé par une des femmes qui continuent de s'activer en cuisine,ou encore d'une partie de petits chevaux !

Il y en a deux qui ne joueront pas ce soir ! Un des villageois à la main enflée comme un ballon de baudruche suite à la morsure d'un scorpion ! L'autre, c'est Daba, qui passe à moto, le pied dans un terrible état suite àLe_rem_de_pr_t___l_emploi la morsure d'un serpent ! Sous son bras, un canari (les pots en terre) vide destiné au puissant féticheur du coin, qui, après consultation, le remplira d'un savant assortiment de feuillages. On doit y ajouter de l'eau puis faire longuement bouillir le tout, avant de boire une partie du liquide, utilisant l'autre pour laver le pied meurtri. Je viens trouver Daba et sa pharmacopée pour lui proposer une alternative. C'est la pierre noire. Introduite par les missionaires, tous ceux qui ont eu à l'utiliser me l'ont décrite comme miraculeuse. On fixe la pierre sur une incision effectuée au niveau de la morsure, et, comme une ventouse, elle va rester fixée et aspirer le venin jusqu'à disparition de celui-ci ! Mais Daba refuse. C'est que les soins du féticheur le guériront également de la sorcellerie qui pourrait être à l'origine de la morsure. Un voisin jaloux ou un concurrent malchanceux pourrait avoir demandé à un sorcier de jeter le mauvais sort sur Daba !

De mon coté, niveau santé, c'est le retour du staphylo ! Les anciens, après m'avoir vu galérer cinq jours avec l'argile de grand-mère sans amélioration aucune décident de m'offrir le "soigne-tout" local :32225529_m

Mode d'emploi : Déposez quelques gouttes de jus de citron ou d'eau dans le creux de votre main puis frottez-y cette sombre pierre agglomérée qui s'effrite et se dilue pour obtenir une sorte de mélasse. Appliquez alors sur la zone atteinte du mal ou, si le mal est interne, avalez le tout.

Composition : Information strictement innaccessible au blanchot de passage !         

Malgré de premiers soins prometteurs, à l'heure ou j'écris ces lignes, j'ai du me résoudre à utiliser l'artillerie lourde occidentale sous forme d'antibiotique.


Après 3 jours de razzia sans merci dans les champs de maïs, le dernier épi tombe !

On pourrait s'endormir sur cette victoire, mais déja les blancs nuages de coton qui semblent sortir comme par magie de la plante nous narguent dans le champ voisin. On entame donc la récolte dès le lendemain et, la tâche étant un véritable jeu d'enfants comparée au maïs, je peux m'y adonner aux horaires locaux.

L'équipe enfourche ses vélos vers 8h00, après la séance de dopage à la bouillie de maïs. Dès l'arrivée au champ, on commence à détacher consciensieusement la soyeuse offrande à 4 de front :

Vers midi, les femmes opérent le ravitaillement sur place, et le thô disparaît rapidement sous les coups de poignets cadencés qui rythment le pic-nic :

La digestion invite à un petit repos, l'occasion d'en apprendre plus sur la situation de Lhasso et Fadouga, les deux jeunes qui nous accompagnent au travail.

Ce sont les fils d'un frère de Madou. Les quelques années durant lesquelles ils vont travailler avec lui sans relache sont un apprentissage sans faille. Le jour ou ils souhaiteront quitter la cour de Madou, c'est lui qui devra, comme en remerciement du travail fourni, leur offrir les moyens de commencer à travailler leur terre, qu'ils hériteront certainement d'un parent quelconque.

Un modèle d'éducation en place depuis la nuit des temps qui se marie difficilement avec une scolarité à l'occidentale. Les quelques heures de travail qui nous amènent à la tombée du jour sont l'occasion de méditer tout cela... De toute facon, que ferait ce Burkina Faso majoritairement occupé par le travail de la terre d'une génération d'étudiants diplomés ? Les rares places de fonctionnaires ou du tertiaire s'arrachent dèjà à coups de Backshishs !

Le poids du sac augmente imperceptiblement malgré les poignées et les poignées de coton qui s'y engouffrent. A tel point que l'on finit part se demander si l'on travaille réellement pour quelquechose. Surtout que la riche SOFITEX, qui distribue les semences et fournit à crédit les engrais et pesticides indispensables à leur croissance, rachète le produit fini pour quelques 150 Francs CFA (0.22 €) le kilo. Depuis des années, nombreux sont les paysans burkinabés qui abandonnent ce commerce, tant le bénéfice final est faible, voire inexistant. C'est aussi qu'ils ont réalisé qu'après le passage sur une parcelle de la soit-disant "plante à fric" et de la troupe de produits qui l'accompagnent, plus rien d'autre ne pousse !

On pourrait s'insurger devant ce qui est manifestement de l'exploitation pure et simple, de l'esclavage moderne, légalisé, banalisé.

Ce burkinabé qui travaille pour environ 400 Francs CFA (0,61 €) par jour pour enrichir un quelconque groupe d'actionnaires, combien couterait-il à ces derniers s'ils le prenaient comme esclave chez eux, dans leur pays "développé" ? Certainement pas moins de 5€ par jour, le strict minimum pour le nourrir et le loger.

Heureusement qu'on a aboli l'esclavage ! On peut maintenant s'offrir la même chose pour 7 fois moins cher, la distance en prime, pour ne jamais avoir a faire face à la réalité.

J'ai de plus en plus de mal à suivre ce genre de raisonnement qui repose sur la conviction toute occidentale que l'exploiteur qui possède profite de la vie au contraire de l'exploité aux mains vides qui la traverse dans la souffrance.


Chaque jour, la vie me montre qu'elle a su faire les choses d'une bien plus belle manière. C'est au hasard de son humeur qu'elle distribue à chacun, qui qu'il soit, bonheurs et malheurs, petits ou grands.

J'ai la conviction que les plus heureux sont ceux qui savent accepter cet état des choses. Tranquilles tant qu'ils sont en vie, attendant leur tour, ils restent perplexes devant ceux qui courent sans cesse, accumulant toujours plus en quête d'un mieux-être chaque fois ré-évalué à la hausse .

C'est que j'ai eu le privilège de partager la vie pleine de richesses de ces "extremes pauvres", "sur-exploités" car pétris de cette naïveté qui rend heureux de ce que l'on a, l'esprit toujours en paix dans cet environnement "sous-developpé" grouillant de vie, ou les cris d'enfants viennent défier le calme qui émane du pacte que mère nature semble avoir passé avec ces gens.

Et si leur vie ne nous paraissait difficile que parce qu'elle est aux antipodes de celles que nous connaissons ? Et si gratter la terre à la force des bras ou sauter un repas leur était aussi aisé et naturel que rédiger un document où passer une journée seul derrière un bureau l'est pour nous ?

Et si nous ne considérions leur mode de vie comme une gageure que pour mieux éviter de remettre le nôtre en question ? C'est vrai qu'il est toujours plus agréable de faire la liste de ce que nous avons et que notre voisin n'a pas, plutôt que de se forcer à réaliser tout ce que le voisin a en échange et qui nous manque cruellement.

La veille de mon départ, alors que je retourne ces belles idées dans ma tête pendant que mes mains dépecent avec aisance les plants de coton, Fadouga arrive à vélo et s'adresse à Madou en djoula. Madou m'explique :

"Antoine, je dois rentrer au village, mon enfant vient de décéder".

Comment passer d'un petit moment de bonheur simple à l'horreur poisseuse, profonde. Cela fait maintenant une semaine que Madou me cache la vérité et s'occupe de moi, me répétant inlassablement combien ma visite le ravit, plutôt que d'accompagner son propre enfant durant ses derniers jours.

On tente de me rassurer, l'enfant de 8 ans était malade depuis la naissance et tout le monde s'était résolu à le perdre depuis deux ans son état ne fesant qu'empirer.

Chaque crêpe, réalisée devant une assemblée silencieuse et d'abord perplexe, sera déchirée en une myriade de petits lambaux par les femmes qui les distribueront à l'assemblée ravie. Jusqu'à ce que la dernière glisse enfin de la "poele" sur le coup des 01h du matin. Suivent les aurevoirs, échanges d'adresses et petits cadeaux, car mon départ est prévu au petit jour, avant que le village ne s'éveille.

Et je dois dire qu'au vu des tristes récents évènements,je suis soulagé de laisser la communauté s'y consacrer pleinement.

32117872_m

Ce sont les peuls voisins qui ont tiré de leur bétail le précieux lait, tandis que le boulanger m'a fourni un kilo de sa farine (je lui apprend au passage que la farine de blé n'est pas produite à partir du maïs comme il le croit, lui qui n'a jamais connu que cela). Hélas, les oeufs ne sont pas venus du marché comme prévu ! C'est le début d'une procession de femmes qui, se passant le mot, viennent une à une déposer un, puis deux, jusqu'à 5 des oeufs de ces poules qui parcourent le village en permanence, pondant à l'abri des regards.

A mon arrivée au village, Madou me présente toujours le même sourire et me jure qu'ici la perte d'un enfant est trop fréquente pour que l'on se permette d'en faire un drame. Il me prie de maintenir la soirée crèpes prévue pour mon départ.

Publicité
Publicité
Commentaires
Carnet de déroute
Publicité
Carnet de déroute
Newsletter
Archives
Publicité