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Carnet de déroute

30 janvier 2009

Chez les petits hommes de la grande forêt

1er jour :

Un pti bus pour Yaoundé, puis un second vers Lomié et, déjà, ca commence à sérieusement sentir la forêt :

Reste à dénicher une de ces tribus de petits hommes (par ici, ce sont les Bakas) qu’elle abrite ! Pas de soucis, ma bonne étoile s’est encore occupée de tout : Mon voisin de trajet, éco-garde au parc national du Nki, connait les forêts de la région comme sa poche.

Dès notre arrivée à Lomié, il me confie à un ami du coin, Alex, et sans transition, on entame les deux heures de marche qui nous séparent de la réserve du Dja.

A l’entrée, c’est le drame : l’éco-garde veut me coller un guide officiel 24h/24 ainsi qu’un porteur ; pour la modique somme de 300€ les 15 jours. Heureusement, on est en Afrique, et comme je suis Anatole, anthropologiste fauché dépêché par le CNRS pour étude officielle, ce sera finalement 8 € les 15 jours, sans guide ni rien !

Satisfaits, on peut se remettre en route...

Au bout d’une heure environ, je crois entendre des cris d’enfants…

Ce sont bien des huttes que j’aperçois là-bas !

Soudain, j’hésite presque à effectuer les quelques pas qui me séparent encore de mon rêve de gosse…

                          Le_campement__atrophie_depuis_une_recente_epidemie

…qui se brise net : pas de cache sexe végétal ni de scarifications effrayantes, pas même un petit os de panthère en travers du nez. Aucune trace non plus des sarbacanes empoisonnées et autres totems d’ivoire ! La forêt elle-même est moins grandiose que je l’imaginais !

Certes, je suis de loin le plus grand du village (le kif !) et les femmes ont les dents taillées en pointe, mais la comparaison avec les reportages d’ARTE s’arrête là.

Les 2 huttes et autant de cases qui constituent les lambeaux du campement déserté suite à une récente épidémie n’abritent plus que deux familles lourdement dépendantes du village Bantou (C’est ainsi que l’on nomme les locaux de taille « normale ») tout proche.

En effet, les Bakas ne pratiquent pas ou très peu l’agriculture. C’est aux champs des bantous qu’ils travaillent, à la journée,  pour se procurer la nourriture.

Pire que tout, ma venue n’étonne personne. Situé le long d’un sentier de réserve nationale, le campement est habitué au passage des touristes.

Je ne veux pas croire Alex lorsqu’il m’assure qu’il n’existe plus de communautés Bakas auto-suffisantes isolées en forêt.  Je veux en avoir le cœur net, et, avant qu’il ne m’abandonne à mes petits hôtes, nous nous mettons d’accord pour que deux de ceux-ci m’accompagnent dès le lendemain jusqu'à un autre campement, Mempalé, situé au cœur de la réserve, à une journée de marche.

Jusque tard dans la nuit la petite communauté va danser au rythme du « Ndum » et des verres d’alcool de raphia (un genre de palmier) distillé qu’Alex m’avait conseillé d’offrir en plus du sel et des lames de rasoir. Pour moi, le spectacle laisse un arrière-gout amer de show pour touristes alors que je vais me coucher dans la hutte que l’on m’ouvre.

Cette nuit, je redécouvre le froid !

2ème jour :100_0331

Le petit jour me tire hors de ma hutte d'où j'aperçois les hommes autour d'un bidon au contenu blanchâtre, à moitié ivres.

Mon réveil annonce le maigre pti déj' : manioc bouilli et soupe de poisson :

C'est Ndaka qui l'a pêché à l'aube, et c'est encore lui qui se prépare à m'accompagner à Mempale; le chef complétant la fine équipe.

Ce dernier remplit un bidon du blanc breuvage et se munit d'une canne a pêche tandis que Ndaka attache un tubercule de manioc à son sac à dos végétal.

Alors que chacun s'empare d'une machette, une femme ramasse un sac plastique dégueulasse qui traînait au sol et y fourre quelques morceaux de manioc bouilli. En route pour Mempale !

Je m'adapte tant bien que mal au pas rapide et assuré de mes compagnons :

Déjà, la forêt se fait plus dense, plus sombre, mes sens sont assaillis par l'inconnu. Ces odeurs, ces sons, cette fraîcheur lourde...

Franchement, c'est ouf ! Les reportages d'ARTE, au fond, je m'en contrefous; il est grand temps que j'arrête de cracher dans la soupe !

Je commence tout juste à découvrir mes compagnons (les salops ! Ils ont déjà liquidé le bidon !) grâce au français rapiécé de Ndaka, mon seul relai de communication du séjour.Les_bakas_reperent_ces_tubercules_sauvages_aux_feuilles00000
Très vite, ils comprennent ce qui m'intéresse.

Ndaka marque un stop : Il a reconnu le feuillage d'une petite liane (« Nké-Nké ») qu'il suit jusqu'à la racine.
Il s'agenouille pour déblayer celle-ci à la machette. Plus on s'enfonce, plus elle grossit.

Bientôt, c'est un énorme igname sauvage que Ndaka extrait du sol :

Il en arrache l'extrémité puis la remet en terre afin que, l'année prochaine, lui ou un autre Baka attentif profite à nouveau de l'offrande de la forêt.
Inutile de s'encombrer : on cache le tubercule un peu plus loin en attendant le retour.


Ndaka profite de l'arrêt pour sérieusement entailler l'écorce d'un arbre voisin sans pour autant s'en emparer, comme par pure méchanceté :
- « Tu fais quoi ? »
- « Une lampe »
Ah...? ...Bon !

En en discutant avec eux, je réalise que de toute façon, ils seraient incapables de le gérer :
« Si si chef ! Le blanc a raison. Si on vendait par exemple deux gigots de biches à 2000 F, ça nous ferait déjà 400 F, du coup, on pourrait se payer 5 litres de vin a 150 F  ! » ©Ndaka 2009.
Je commence tout juste à comprendre comment les bantous exploitent si facilement les petites gens.

Impossible d'y réfléchir en marche, cette dernière exige toute ma concentration, en particulier lorsqu'il s'agit de jouer les funambules sur les troncs couchés qui permettent de traverser les nombreux cours d'eau, parfois à plus de 5m de haut ! :

En parlant d'eau, Ndaka s'arrête bientôt près d'une liane et m'explique qu'elle en est gorgée. En cas de besoin, on tranche et il ne reste qu'à porter la bouche « au robinet » !

On reste dans les liquides avec la halte suivante : une case bantou, au milieu de nulle part, où l'on vend de l'alcool distillé artisanalement.  Je comprends vite le message : mes guides ont besoin de carburant, et voilà justement la station service. Des alcooliques finis je vous dis !

Puis ça repart. Un pied devant l'autre. Il fait chaud. Une liane après l'autre. Trop chaud. Une montée de fièvre me surprend. Je panique (« Putain, merde ! Je suis à 1 journée de marche de la civilisation, avec deux pochtrons !! »).

Je souffre en silence jusqu'à l'étape suivante : le campement Baka de Meïbot situé au cœur du village Bantou du même nom, où je m'écroule... ...et me réveille une heure plus tard, sous les regards médusés des habitants.
Ici, chaque famille Bantou a une famille Baka à son service, et la relation se transmet de génération en génération.

Ravigoté par mon petit coma, je donne mon feu vert pour la dernière ligne droite (façon de parler !).
Peu avant de toucher au but, le manioc bouilli, recouvert de terre à sa sortie du sac plastique, se transforme en festin sous l'effet de la faim.

Puis la désinfection se fait de l'intérieur, avec une bonne rasade du tord-boyau local, dont mes compagnons s'envoient 75 cl d'une traite !

Nous voilà enfin à Mempalé, le hameau Baka le plus reculé de la réserve du Dja !... ...décevant... Là encore, les bantous sont tout proches et en relation étroite avec leurs petits semblables.

On m'avait prévenu...


A_table__J'achète quand même un singe pour récompenser mes compagnons et c'est chez Joël, le beau-père du chef, que l'on va le préparer puis le partager :

Pour_une_demi_journee_de_travail_chez_les_grands__Ndaka00000Joël a passé la journée à défricher pour un Bantou :
- «  Et ils t'ont payé comment ? » Il hésite...
- «  Euhhh... avec du petit tabac »
- « Seulement un peu de tabac ? »
- « Non, pas du tabac, du petit tabac !»

Il détache un petit paquet... ...plein de cannabis !
Les bantous en cultivent ici depuis des générations « en même temps que les arachides, c'est bon pour la terre ! » principalement pour la vente ou pour satisfaire leurs petits employés.

Évidemment, ça rappelle un peu le féodalisme, en pire, puisque les grands seigneurs payent leurs petits cerfs avec des produits provoquant une dépendance. On y reviendra.

Les huttes qui nous entourent semblent désertes. Joël nous explique que le poisson se fait rare aux alentours du village. Il y a une semaine, les bakas ont décidé de partir en forêt à la recherche de meilleurs coins de pêche. Aux dernières nouvelles, ils étaient à une journée de marche du village.
Il n'en faut pas plus pour que je tanne mes compagnons fatigués « Dites, on peut y aller ? Hein, dites ? Allez !!! »
Ils cèdent facilement.

Joël, de son côté, s'est emparé de sa guitare et nous offre une de ces petites veillées en chanson, inoubliable... (J'ai bien pris soin d'enregistrer le tout avec mon appareil... ...avant de réaliser qu'il n'a pas de micro...)

3ème jour :

Courte nuit.

Petit déj rapidos, et zou, une autre journée de forêt, en hors piste !

L'occasion pour mes ptis potes de m'expliquer que j'ai de le chance :  D'habitude, à cette saison, les bakas restent au campement.

C'est à la saison des pluies qu'ils retrouvent le nomadisme pour des « campagnes » de pêche, de cueillette (miel, mangues sauvages, etc...) ou encore de grandes chasses qui peuvent durer des mois.

Les buffles, les éléphants et autres gorilles sont parfois à moins d'une journée de marche de Mempalé et malgré la loi, beaucoup les traquent encore. Il suffira de reverser quelques miettes des fortunes en jeu aux autorités pour s'offrir leur silence.

A mi-chemin, on tombe sur les restes d'un bivouac récent : les talents de pisteurs de mes anges-gardiens se confirment ! Cette fois, ils en sont certains, c'est dans « la maison que la forêt a construite pour les bakas » qu'on trouvera leurs frères et sœurs...

...Et quelle maison ! :
Un immense rocher encastré au sommet d'un petit surplomb offre un gigantesque abri naturel :

Les foyers des feux de camps qui jouxtent les couchages de fougères fument encore : nous sommes bien arrivés !

Ils viennent de rentrer, accompagnés des mamans aux paniers chargés de fruits sauvages dont elles extraient déjà les noyaux tandis que d'autres bambins se chargent de les faire griller sur le champ !

La nuit est déjà avancée lorsque les hommes rentrent avec le résultat d'une journée de pêche
Il sera fumé le soir même et dans 4 ou 5 jours, les femmes apporteront le butin cumulé jusqu'à Mempalé en échange du manioc, du tabac, du petit-tabac et de l'alcool nécessaires à la vie de la petite communauté du rocher.
Les bantous retireront un bénéfice d'environ 95% lors de la revente du même poisson au marché de Lomié. Un commerce tout sauf équitable, mais encore une fois, on y reviendra !

En attendant, notre part est déjà sur le feu sous la surveillance des femmes auxquelles Ndaka a également remis notre manioc.
Le dîner a comme un petit arrière-goût de conte de fées sous la sombre voûte rocheuse somptueusement  parsemée d'improbables étoiles clignotantes...
Le spectacle nous est offert par des lucioles volantes attirées la haut par la chaleur que la roche diffuse.

4ème et 5ème jour :

C_est_en_pirogue_qu_on_atteint_les_meilleurs_coins_de_peche

Nous, Joël, il est temps qu'on l'abandonne sur sa pirogue !

Je tente un ultime caprice : « Dites, dites, on va voir les gorilles, hein, allez, sioupléééé !!! » Les regards que l'on me renvoie ne laissent pas de place au doute : le tourisme a assez duré.

C'est donc le retour : 2 jours de marche silencieuse, concentrée, dans cette forêt qui se transforme enMikanda__une_des_lianes_comestibles véritable centre commercial.

Au rayon condiments, mon escorte a repéré une liane comestible : Mikanda :

Direction le rayon petit-déjeuner ou une infime ouverture dans le sol trahit la présence d'un essaim d'abeilles souterrain ! Certes elles ne piquent pas mais aujourd'hui, pas de bol, aucune trace de miel !

Plus loin, on retrouve notre tubercule dans le caddie, au pied de l'arbre sur lequel l'intriguante entaille faite 3 jours plus tôt est déjà couverte d'un amas puant de sève coagulée. On en recueille un maximum dans notre sac de courses fait de 4 feuilles de boboko savamment disposées, déchirées puis nouées par les tiges.

C'est donc avec ça qu'on va faire une lampe ?!...

Dès notre retour au hameau, on s'occupe de nos achats :

100_0653Le ciel s'assombrit déjà alors que le chef s'efforce de rouler comme un gros cigare plein de cette sève puante collectée plus tôt dans une feuille de Boboko.

Il attache le tout puis en approche une des extrémités du feu dans lequel cuit Mikanda, notre liane.

Dans un crépitement genre fusée de détresse, la simili-bougie s'enflamme.

Voici donc la fameuse « lampe » Baka, à la lueur de laquelle nous allons bientôt attaquer le dîner, sans pitié pour Mikanda.

Pas le temps de souffler : le Ndum commence à vibrer et jusque tard dans la nuit, nous danserons, fêtant notre retour avant que je ne rejoigne ma hutte métamorphosée en suite royale : Matelas de fougères et petit feu d'intérieur ! (Bon, j'avoue, j'ai tout pompé sur le voisinage !)

La suite au prochain numéro !...

Joël n'a pas attendu mon réveil pour partir à la pêche.

Chaque jour, il trouve 50% de son poisson en cinq minutes grâce au filet qu'il a tendu en travers du cours d'eau tandis qu'il lui faudra le reste de la journée pour pêcher les 50% restants à la ligne, profitant de la pirogue pour mieux surprendre le poisson.
Bien entendu, n'importe quel bantou aurait depuis longtemps tendu un second filet, puis un troisième, etc , accumulant toujours plus de poisson donc plus de richesse.
Joël, de son côté, n'en voit manifestement pas l'intérêt. Occuper ses journées et en retirer de quoi nourrir sa famille semble lui suffire.
C'est ce genre de comportement qui fait passer les Bakas pour des idiots auprès des bantous.

Pourtant, là ou cet idiot de Joël ne prélève que le poisson dont il a besoin, ses enfants et les enfants de ses enfants trouveront toujours du poisson.
Les enfants du génial bantou aux 50 filets, eux, pourront toujours essayer de mettre leurs billets de banque dans la soupe lorsqu'il ne restera plus une once de vie dans leur rivière...

Mbenda entreprend de faire sécher le petit duvet de palmier avant d'y ajouter de la cendre de peaux de bananes séchées, brulées et enfin broyées.

Yucca, de son côté, s'affaire autour d'un petit bout de lame de machette qu'il recouvre de poils de biches avant de le carboniser et de le courber pour former un U.
Ndaka s'en empare alors, demande à Mbenda de lui remettre le duvet amélioré et sort la banale petite pierre de sa poche afin que j'assiste à mon premier allumage de clope au briquet Baka, le « Sawala » :

Le_duvet_du_palmier__un_ingredient_du_briquet_local
Enfin, on reste au rayon quincaillerie pour se procurer une poignée de ce petit duvet qui recouvre les branches du palmier à huile.
- « Pour quoi faire ? »
- « Bah, un briquet ! »
Ouais... Évidemment !

En route vers la caisse, Ndaka ramasse une banale petite pierre et devance ma question : « Ça aussi, c'est pour le briquet ! ».

Exténués par tout ce shopping, on a bien mérité une petite pause à la cafét' ! :

La nuit pointe déjà le bout de sa lune, il faut penser à se mettre en quête de quelques feuilles de boboko qui nous isoleront de l'humidité du sol pour la nuit, ainsi qu'un peu de bois mort pour le feu qui achèvera de nous tenir au chaud.

Les bakas ne se couvriront pas ce soir : ils préfèrent boire une tisane à base de l'écorce d'un arbre tout proche afin de maintenir la chaleur de leur corps jusqu'au matin suivant.
Hélas, je rate la dégustation, attiré un peu plus loin par des cris d'enfants que je surprend en pleine session « balançoire 100% Bio » :

La marche reprend, jusqu'au prochain motif d'arrêt : l'un des innombrables pièges bordant les sentiers dontUn_pengolain_et_un_toucan Ndaka me démontre le fonctionnement.
Le gibier est omniprésent ici : Lièvres, biches, antilopes, porcs-épics et autres créatures étranges se prennent régulièrement au collet et font l'objet d'un commerce plus ou moins légal mais toujours lucratif !
Pourtant, contrairement aux bantous, les bakas ne vendent jamais leurs proies : ils préfèrent encore le goût de la chair à celui de l'argent.

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24 janvier 2009

Escale tout confort a Douala

Lit moelleux, salle de bain tout confort, petits plats popotés par maman Emma et tatie Sophie et passionnantes conversations avec Jacques et son fils Jean-Jacques, autant dire que la vie est dure chez les Eckebil, des amis de longue date de la famille !

Alors que j’allais vouer ma première journée Camerounaise à la découverte de Douala, Jacques apprend qu’il doit se rendre dans son village natal de toute urgence ! Me voila déjà installé dans la Clio qui nous emmène à Ndoungué, modeste village, quelques 150 km au nord de Douala, dans les fertiles montagnes boisées qui regorgent de vivres destinés autant au Cameroun qu’à l’exportation.

Un petit arrêt en cours de route me permet de voir de près le caoutchouc que pleurent les hévéas alignés.

Puis une piste escarpée nous amène au village.

Un pas après l’autre, une rencontre précédant la suivante, je découvre d’abord la liane dont on tire le poivre, puis le caféier dévoile ses petites baies qu’il faudra faire sécher avant d’en tirer le précieux grain bientôt torréfié.

Vient le tour du cacaoyer qui supporte à bout de branches ces grosses gousses pleines de fèves dont l’amertume surprend.

L’avocatier suit, ployant sous les sombres fruits qui semblent si précairement raccrochés à lui.

Les fruitiers exotiques de toutes sortes complètent le patchwork de ces petits champs familiaux torturés dont le charme contraste avec la platitude des gigantesques plantations de bananes destinées à l’exportation qui bordent les routes de la région.

Les grands groupes occidentaux qui les abreuvent d’engrais chimiques et les arrosent sans relâche se soucient peu de l’état dans lequel ils laisseront ces terre et ces nappes phréatiques qui ne sont pas les leurs.

Bien sur, quelques villageois sont ravis d’obtenir des emplois salariés et plusieurs ministres abreuvent leurs comptes en suisse avec les taxes d’exploitation et de douane, mais le reste du Cameroun, lui, ne profitera que de l’état remarquable de la route qui amène les fruits jusqu’au port de Douala. Son entretien est assuré par une entreprise française financée par l’aide au développement européenne…

Pour moi, c’est déjà la dernière baignade dans une de ces petites criques alimentées par de mignonettes chutes d’eau. La montagne en est truffée, mais Douala nous rappelle déjà !

Maman Emma et tatie Sophie recommencent à me bichonner ! Il faut que je fuie vite avant de m’habituer à cette vie de pacha ! Direction les grandes forêts de l’est, repaire des tribus des petits hommes.

7 janvier 2009

Welcome (ou pas) to Nigeria !

03h30 : Réveil à Cotonou, douche, café/noix de coco

04h00 : Le zem (mototaxi) me dépose au marché ou un des taxis pour le Nigeria attendait justement le 8ème passager synonyme de départ.

05h30 : Cela fait maintenant une heure que l’on attend devant le commissariat central de Cotonou deux de nos passagers emmenés suite à un classique contrôle de police. Excédés, ils cèdent et monnayent leur liberté.

08h00 : Après quelques formalités, je suis enfin Nigérian, pour 72 heures seulement.

09h30 : Je saute du taxi 9 places dans la folie de la grouillante Lagos. Mon bus pour Calabar vient de partir… …dans les embouteillages qui me permettent de le rattraper sans souci !

22h30 : Le chauffeur annonce qu’il est trop fatigué pour nous amener à destination. Une des passagères m’invite à profiter de la voiture de son frère venu l’emmener à Oron, justement la ville de départ des bateaux pour le Cameroun. Comme d’hab., je me retrouve à partager le dîner et le lit des garçons.

Au réveil, je m’assure d’avoir l’appareil photo sous la main pour les 45 minutes de pirogue qui me séparent de Calabar où l’on délivre les visas camerounais hors de prix. La mangrove tropicale qui nous entoure mérite en effet quelques clichés, encore faudrait-il que l’appareil se trouve toujours dans mon sac ! Je n’ai pourtant relâché mon attention que quelques minutes, le temps d’aller aux toilettes… Ca m’apprendra à faire le radin et à ne pas prendre l’avion…

Ironie du sort, c’est un photographe qui m’accueille à Calabar, dans l’hôtel de luxe qui abrite son équipe venue couvrir un festival local blindé de stars américaines (J’ai raté Fat Joe !!).  On s’y croirait presque aux states,  entre les reality shows qu’mtv diffuse à travers chaque TV de l’hôtel ou encore les fast foods qui s’alignent le long de la route. Je suis dans un de ces quartiers qui surfe sur les vagues de pétrole glissant sous le sol Nigérian. Ici tout va bien  même s’ il faut oublier l’ambiance bonne enfant d’Afrique de l’ouest. On se croirait dans n’importe quel centre-ville occidental, à ceci près que la banlieue pauvre qui entoure ce riche quartier couvre 95% de la ville.

Dès que l’on passe de l’autre côté du cordon de gardes, shotgun et grenade en main, la tension est palpable, et le Nigeria se montre à la hauteur de sa triste réputation…

Souvent, un passant décide spontanément de m’escorter. On me répète que les kidnappings pour rançon sont fréquents, les nigérians espérant tomber sur l’enfant d’un de ces nombreux étrangers pleins de pétrodollars.

Malgré cela, le principal risque d’une ballade dans une ville nigériane, c’est le torticolis, tant les femmes de ce pays répondent aux canons de l’esthétique occidentale.

Pas le temps pour moi d’en profiter, puisqu’à peine deux jours plus tard, je suis déjà de retour à Oron, prêt à embarquer dans le premier rafiot faisant cap sur le Cameroun, à la fois soulagé de quitter ces inhospitalières cites nigérianes et déçu de ne pas avoir eu le courage de m’enfoncer dans la forêt qui les entourent, certainement beaucoup plus accueillante.

Après 5 heures d’attente, la barque motorisée se présente enfin. Et ça commence mal, puisque le pilote veut m’expulser, sous prétexte qu’il n’a pas reçu sa part de l’argent que j’ai remis au « patron ». Puis il s’en prend à un autre passager, teste la barcasse, retourne sur la berge chercher quelques colis, tente de m’expulser une seconde fois, et c’est enfin le départ.

Ah non pardon, j’oubliais la douane puis les 3 contrôles de police successifs, où l’on me menace de m’interdire la traversée pour diverses raisons folkloriques, espérant toujours que je sorte le petit billet, désespérant toujours face à mon sourire patient.

Trois heures de tape-cul au rythme des vagues qui claquent contre le fond de l’embarcation plus tard, après avoir transféré les voyageurs sans papiers sur un zodiac, on met enfin le cap vers les terres camerounaises. Je regrettais déjà que l’appareil photo soit parti avec mes vidéos du Nigeria, mais la, je suis carrément dégouté (pour vous hein, parce que moi, je m’en suis mis plein les mirettes !)

La pluie vient s’ajouter au vent pour mieux nous fouetter le visage. Elle vient des inquiétants nuages qui s’empalent sur le Mont Cameroun et ses contreforts, assombrissant encore la gargantuesque végétation qui les recouvre, impuissante face au calme de l’océan dans lequel elle semble sombrer inexorablement, glissant depuis l’abrupt relief.

Comme envoûté, je me sens soudain tout pti, minuscule, tout vulnérable, là, à la proue de cette fragile coque de noix. Je savoure cette claque de mystère exotique que je n’attendais plus.

Puis on débarque, on foule avec attention ce sol torturé par l’activité volcanique, ignorant l’appel que le paysage lance continuellement au regard. Puis la police recueille sa dîme, le taxi nous avale et file déjà sur cette route en dents de scie, ridicule sous l’épaisse jungle qui l’englobe avant de s'écarter pour laisser place à la capitale camerounaise : Douala.

6 janvier 2009

Tranquilou a Cotonou !

Kouakou, au volant, me fait signe de monter sitôt que j'ai hurlé "Cotonou". Comme les autres chauffeurs, il gagne 50000 Francs CFA (80 euros, un honnête salaire camerounais) chaque mois qu'il passe seul au volant entre Ouagadougou et Cotonou et vice versa. A sa droite, c'est Coly, son apprenti, qui s'occupe de tout le sale boulot afin d'apprendre le métier et de récolter quelques miettes du salaire de Kouakou qu'il tente d'économiser dans l'espoir de passer le permis pour devenir chauffeur a son tour.

L'équipée, classique, accueillera donc un visage pale durant les 8 heures nécessaires pour parcourir les 400 km émaillés de nids de poule, de contrôles et autres pannes en tout genre qui nous séparent de Cotonou. Arrivés trop tard pour aller à la rencontre de mon contact, c'est sur la natte, sous le camion, que je vais passer la nuit, comme la plupart des chauffeurs des mastodontes qui s'entassent sur le gigantesque parking en attendant d'être appelés au port pour le chargement.

Je profite d'un de ces voyages dès le lendemain pour entrer clandestinement au port ou je vais toquer à toutes les portes en quête d'un vaisseau pour le Cameroun. Hélas, c'est bredouille que je refermerai la dernière...

La voie maritime, du coup, c'est mort... Reste les airs ou la terre. La première solution exige l'achat d'un billet aller-retour, sauf que je n’ai pas vraiment prévu de retourner à Cotonou... La deuxième solution impose une traversée du Nigeria dont la terrible réputation semble de moins en moins justifiée à mesure qu'on s'en approche.

Me voila donc en train de toquer aux portes de l'ambassade nigériane ou l'on me demande de revenir à 16h... ...l'heure de fermeture !

Heureusement, j'ai l'impression d'avoir retrouve un vieux pote en la personne d'Antoine, mon hôte, qui effectue ici son stage de 3eme Anne d'école d'ingénieur. Entre sa compagnie, ses divx, les bars rastas sur la plage bordée de cocotiers et les ananas vendus 0,15€ l'unité, autant dire que l'attente est loin d'être insupportable.

Av__Antoine_et_No_l__15_

Mardi matin, le consul du Nigeria a presque la larme à l'œil quand il apprend que je suis bloqué ici alors que toute ma famille s'est ruinée pour me rejoindre au Cameroun pour noël. Il me promet un Visa pour 14h. Sauf qu'à l'heure dite, j'échoue sur un portier qui m'apprend que mon visa n'est pas prêt et qu'il ne le sera d'ailleurs ni le lendemain ni aucun des jours suivants... Super ! Vive les cons ! Après une bonne gueulante, je décide de laisser la pression retomber et de retenter ma chance quelques jours plus tard.

Ca tombe bien, parce que je m'entends tellement bien avec Antoine et ses amis que j'ai décidé de passer noël avec eux, entre expatriés, plutôt que de risquer de le passer seul ou mal à l'aise dans l'intimité d'une famille.

Du coup, c'est l'occasion de partir à la découverte de la brousse sud-béninoise !  La carte d'Antoine montre une minuscule route toute proche de Cotonou, étrangement coupée par un lac. Un taxi me dépose à l'enbranchement, puis c'est une pirogue qui m’amène à l’autre bout du  lac. Quelques kilomètres de plus sur la piste bordée d'épaisse forêt tropicale et je m'engage sur un des nombreux sentiers qui s'y enfoncent.

J'atterris dans un atelier familial de fabrication de gari :

J'explique avec les mains que je souhaite rester deux jours avant de les imiter au travail. D'abord surpris, ils se prennent au jeu et s'amusent à me mettre à tous les postes : Après avoir deposé le manioc broyé à la machine dans un linge, on enroule ce dernier afin de passer à l'essorage  (sans oublier de récupérer le jus contenant le futur tapioca),puis on doit tamiser la matière essorée qui sera enfin déshydratée dans un de ces gigantesques woks chauffés à bloc, alignés à l’image des femmes qui y remuent sans relâche le futur gari. Sensations sauna garanties !

Au retour, j’ai la joie de rencontrer Euphrem, de retour du collège et par conséquent francophone ! C’est sa natte que je vais partager.

Au petit matin, je me frotte les yeux pour m'assurer que je suis bien au paradis :

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Au pti dej : maïs frais au feu de bois et eau de puits avant un pti tour au champ d’ananas et c'est déjà l'heure de… …la messe :

Et là c’est ouf ! On y voue un culte à Ethron dans une sorte de mix animisto-christiano-zarbi avec une chapelle, une bible, mais des gros fétiches partout quand même !!! A la sortie de l’église, tous en short, une mèche de cheveux en moins ! On nous couvre le corps de points de peinture qu’il faut aller laver en procession jusqu’au grand canari  plein du bouillon de plantes sacrées. Enfin, on nous frotte le corps avec les poulets destines au sacrifice ! Pas mal !

Retour à la maison pour une après-midi consacrée au désherbage annuel, à la houe.

Les derniers rayons du soleil annoncent le repos mérité qui se déguste en famille autour du foyer ou le riz achève sa cuisson dans l’huile de palme.

La noirceur de la nuit comme des corps est tout juste effleurée par l’éclat virevoltant tel une luciole d’une lampe à pétrole révélant tout juste la silhouette de l’enfant qui la porte pour mieux débusquer les volailles trop proches du lieu de vie.

Le silence accueille les quelques éclats de rire du dernier né que le papa câline sans répit. Le cours du temps lui-même semble s’être arrêté.

Peut-être aimerait-il lui aussi que cette petite soirée si simple dure encore au moins une petite éternité ?

La fatigue prend inevitablement le dessus, offrant le lourd sommeil nécessaire à la reprise du travail du manioc au petit matin.

La fascination s’émiette lorsque, déjà lassé par ce travail répétitif, je réalise qu’il constitue le quotidien de ces villageois durant des mois, année apres année.

Pourtant, je me rassure vite, persuadé que, n’ayant jamais eu aucune autre perspective, la lassitude n’effleure même pas ces gens simples, contraire ment au petit occidental habitué à une vie déjantée.

Ces pensées occupent mon esprit  tandis que la pirogue glisse à nouveau sur le lac, annonçant mon retour à Cotonou, juste à temps pour me présenter  à nouveau à l’ambassade, sans grand espoir.

Pourtant, le portier m’ouvre avec le sourire, comme frappé d’amnésie. Puis c’est le consul qui me reçoit avec égards avant de se métamorphoser progressivement en père noël tandis qu’il perd du terrain face à mon larmoyant playdoyer !

Cette fois, je l’ai cet inespéré cadeau de noël,bien tamponné sur mon passeport !

En parlant de noël, bah c’est le lendemain, et il est grand temps que je m’attaque au tiramisu qui clôturera le festin dont le combo frometon/vinasse/salade me ramènera au pays quelques instants, comme en songe !

Pour digérer tout ca, rien de tel qu’un petit week-end les pieds dans l’eau à Ouidah ! Le trajet prend la forme d'une jolie ballade a moto puis c’est l’occasion de se faire les bras des heures durant sur l’un de ces interminables filets de pêche ! Quand le poisson se montre enfin, c’est à la pirogue que la trentaine d’hommes, femmes et enfants décide de s’attaquer :

Notre récompense, c’est le plus beau poisson de la pêche du jour, qui trouve tout naturellement sa place sur le barbecue à côté de quelques bananes plantain.

Ainsi ce termine ce petit retour à la vie de citadin aisé qui me correspond tellement plus que celle de la brousse africaine. N’est-ce pas justement pour cela que cette dernière me fascine tellement ?

28 décembre 2008

Dans l'attente d'une danse...

Ici, on est musulman devant, fétichiste derrière ! Du coup, on fête ici aussi la Tabaski, et le repos général observé me donne l'occasion d'aller à la rencontre des habitants de ce village de Soubroukou formé de 4 hameaux. La visite de chacun d'entre eux commence avec une courbette devant le roi, à moins qu'un concert donné en son honneur n'exige quelque pas de danse :

Les hommes ordinaires laissent filer le temps ensemble, entamant une partie d'awalé ou alimentant les discussions animées à grands renforts de Tchoukoutou ou Sodabi, les alcools distillés à base de sorgho ou de sève de palmier. L'alcoolisme est ici la norme.

Seuls les jeunes montent encore aux champs pour la récolte ou aux jardins dans l'un desquels une nouvelle pépinière d'Artemisia Annua va voir le jour !


Après deux jours de cette vie reposante, je me sens prêt à reprendre la route de Cotonou, mais la promesse d'assister à d'impressionnantes danses traditionnelles le lendemain me convainc de prolonger mon séjour. Cette danse sera finalement repoussée au jour suivant à 4 reprises...


Quatre jours qui me permettront de découvrir le système des grigris qui protègent des voleurs l'igname récolté qui, une fois pilé, formera la base du dîner quotidien : le foutou ou pâte d'igname.

Découverte toujours des techniques de chasse et de pèche de Djibi, le grand frère de la famille ou je suis encore une fois devenu un nième fils. Le plus jeune est acrobate, responsable des fréquentes chutes de fruits.

Redécouverte également du travail des graines du Néré qui, comme au Sénégal, seront la base du goût de nombreuses sauces une fois bouillies, écossées, lavées et rendues présentables.


Découverte encore du travail du tabac qui pousse derrière chaque maison. 


J'assiste également à l'enterrement d'une vieille maman :

à la suite duquel l'orchestre jouera chaque matin et soir pendant 7 jours, avant la grande cérémonie de funérailles :

Chaque jour, après un petit déjeuner fait d'une sorte de pudding de haricots et mil cuit à la vapeur je participe activement aux travaux de la matinée, puis, après le riz du midi, je profite comme tout le monde des temps de repos qu'offre ce début de saison sèche jusqu'au soir et son dîner d'igname pilé, ses discussions autour du foyer, ses rencontres...

L'eau du puits sied à mon organisme et les longues nuits que je m'offre participent à me redonner une forme olympique, un luxe qui n'a pas de prix, si ce n'est celui d'une vie certes relativement ascétique, rude, mais tellement authentique, honnête.

Alors qu'on m'annonce une 5ème fois le report de la fameuse danse traditionnelle, j'avoue mon exaspération et demande à reprendre la route. Le lendemain matin, je lève a nouveau le pouce et alors que la première voiture arrêtée ne m'avance que de quelques bornes, elle m'offre le numéro de téléphone d'un autre Antoine de mon âge en stage à Cotonou. Voilà pour l'hébergement, reste à me rendre sur place. Ce sera peut-être chose faite avec ce camion-citerne qui allume son clignotant à la vue d'un petit blanc qui s'agite manifestement à son attention...

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24 décembre 2008

De l'est burkinabé au nord-est togolais... ...ou pas ?

C'est décidé, je tente l'auto-stop !

Premier constat : Ca marche du tonnerre grâce au cortège de camions-citernes qui vont à Lomé ou Cotonou ouvrir le gosier métallique de leur caracasse au flot de gasoil qui viendra inonder l'intérieur des terres après perception d'un léger bénéfice par le transporteur, bien entendu.

Second constat : Ca manque de précision. En effet, les villages de cette route togolaise portent étrangement des noms identiques à ceux présents sur ma carte du Bénin ! Crissement de pneu, descente à Tanguiéta, prise de renseignements : impossible de rejoindre le Togo d'ici, il faut continuer jusqu'à Natitinguou. 5 minutes de stop, 30 de route, et m'y voilà. Le soleil amorce sa descente, et plus personne ne prendra la route du Togo avant demain matin. C'est Carlos qui me l'explique, avant de m'inviter à passer la nuit chez lui et à revoir ma destination, étant donné que je suis ici aussi en plein territoire Ottamari, et que je peux certainement trouver ce que je cherche sans trop m'écarter.

Je deviens vite le deuxième fils de la mère de Carlos et de ses 3 soeurs. On profite des congés de Carlos pour se rendre au village d'un grand-père habitant une tata, habitation traditionnelle à l'architecture étonnante.


Puis c'est une nuit au village de la grand-mère. Le rythme de ces villages est trop proche de ce que j'ai connu par le passé pour que je m'y éternise et je décide de poursuivre en direction du Sud en compagnie de Carlos qui se rend à Djougou pour la Tabaski, LA fête du calendrier musulman.

Ici, c'est une véritable boucherie. Le sacrifice rituel du mouton se transforme en un génocide sans pitié, chaque père de famille se ruinant pour égorger un boeuf ou un mouton de plus que son voisin. Résultat, entre la prière, la découpe, la répartition et la préparation de toute cette chair, je n'ai pas senti un seul instant s'installant une ambiance de fête telle que nous la concevons habituellement.

De plus, l'ambiance est loin d'être idéale. Nous sommes dans la famille du père de Carlos, un père qui a abandonné femme et enfants il y a 12 ans, et qui vit aujourd'hui loin d'eux avec ses deux nouvelles femmes, sans jamais donner ni prendre de nouvelles. Sans le soutien financier d'un père catholique français, qui sait ou en serait aujourd'hui la petite famille (convertie au message de jésus au passage !)

Un peu dégouté par tout ca, j'obtiens un contact pour aller me ressourcer dans le village de naissance dudit paternel, à quelques kilomètres des portes de la ville, tandis que Carlos remonte chez lui pour reprendre les cours.

24 décembre 2008

Entre les murs... ...d'un chantier à Ouaga !

Trois semaines, c'est le temps que la capitale Burkinabée m'aura retenue.

La première c'est chez Seïdou, un ami de mon tonton, que je vais la passer. Seïdou termine sa carrière de coordinateur et formateur sur les projets de l'ONG peuples solidaires au Burkina. Il semble un peu désabusé face à tous les moyens mis en oeuvre pour des projets à l'impact souvent discutable.

Son dada, c'est le bout de désert qu'il avait acheté à l'écart de la ville et qu'il a progressivement transformé en un îlot de verdure qui contraste avec la grisaille du calme bidonville Ouagalais qui l'entoure aujourd'hui. Cordons pierreux, diguettes, reforestation, il a mis dans sa recette beaucoup d'ingrédients de l'agro-écologie moderne.

Il y ajoute ses propres intuitions, et le tout ressemble à un joyeux laboratoire vivant, à tel point que la ferme déborde aujourd'hui sur sa maison en ville, dont la cour est devenu une veritable basse-cour/pépinière !!!

La deuxième semaine est l'occasion de passer dans les bras de Monsieur Balzac, Honoré de son prénom.

Il met en place le projet d'auberge/vitrine écologique/centre de promotion artisanal initié par solaire attitude, une association ou gravitent entre autres Sam et Julie, deux amis communs !

L'auberge est en plein chantier, et j'en profite pour me dégourdir le corps tout en entamant une formation en maconnerie. Après deux semaines et des échecs à répétition, l'élévation de murs en briques de terre et argile, le crépissage et la pose de chappes n'ont (presque) plus de secrets pour moi !

Ce petit chantier, c'est que du bonheur, au point que la fine équipe qui y participe ne le quitte que pour manger et dormir ! Encore que, équipés d'un cuiseur solaire, difficile de résister à se faire à manger de manière écologique et originale entre nos murs ! Résultat, j'ai pas vu grand chose de la capitale, mais on s'en fout, je me suis fait plaisir.

Honoré est un poète matiné d'un sage, relevé avec une touche d'artisan et une pincée d'hyperactivité. Il aimerait voir les Burkinabés renouer avec leur Burkina, ses traditions, son terroir plutôt que de se chamailler pour le peu d'europe qu'on peut y trouver en attendant un improbable ticket pour le paradis occidental.

Seul petit souci, honoré est un peu trop gentil pour mener un chantier dans la turbulente cité, et son bon coeur en fait une proie facile pour tous ceux venus en trop grand nombre chercher l'argent facile de la ville, aujourd'hui prêts à vendre leurs frères et soeurs pour quelques francs...

Puisqu'on est dans le sujet, je ne résiste pas à évoquer le scandale qui a secoué le quartier durant mon séjour : Souffrante, une voisine s'en est allée consulter le féticheur, lequel lui a révélé que quelques semaines auparavant, le mari de la dite dame s'est rendu chez un sorcier pour lui demander la fortune en échange de l'âme de sa propre épouse !!! Au final, le mari aura du accepter de satisfaire l'appétit du sorcier avec sa propre âme pour libérer sa femme... Pas de nouvelles depuis...

Hubert, alias papa-ras ou papa-rastah, le manoeuvre à tout faire du chantier; rentre dans la catégorie tout juste évoquée de ceux qui ont tout abandonné, aveuglés par les paillettes de la capitale. Vingtième enfant d'un père qui aura eu son 25ème et dernier à 88 ans, il n'aura connu que les brimades et les réprimandes d'un père ne pouvant gérer sa descendance autrement qu'avec autorité. Sa mère, la 4ème des 5 femmes du papa, a peu d'affection à lui offrir entre les travaux des champs et les taches quotidiennes. Incapable de manifester la moindre confiance en lui, il devra souffrir 3 ans d'exploitation par des patrons sans scrupules qui repoussent le jour de paie indéfiniment, avant qu'Honoré ne l'emploie. Comme ils le disent eux-mêmes : seul un naïf peut s'entendre avec un naïf.

Papa rastah n'ose jamais réclamer son salaire et il faut chaque jour lui répéter trois fois qu'il est invité à partager le benga (mélange de haricots rouges et de mil) qui remplit la calebasse chaque midi avant qu'il n'ose y plonger la main avec nous. Même cinéma chaque soir alors que nous sortons dévorer l'attiéké (sorte de taboulé de manioc à l'ivoirienne) d'une des innombrables "tanties" qui bordent les routes de la capitale, proposant leur spécilaité aux appétits du jour et de la nuit.

Petit clin d'oeil : chaque jour, le repas du midi et du soir nous reviennent à environ 1,30€ tout compris pour 4 !!!

Le 3ème collègue, c'est Monsieur Dico. Jeune pheul passionné de mécanique, il rentre un jour pour trouver sur la table la maudite carte de recrutement de l'armée, synonyme d'enrolement forcé. Les appellés sont choisis selon un hasard tout relatif qui ne séléctionne jamais les fils de gradés ou de toute autre personne influente...

Lui qui hait l'armée ne la quittera que 26 ans plus tard, après 20 ans dans les services spéciaux. Il a jusqu'ici échappé aux purges dont beaucoup de ses anciens collègues qui en savent certainement trop ont été victimes.

Trop actif pour une retraite reposante, il s'investit activement dans le chantier d'un voisin devenu un véritable ami : Honoré même. L'homme paraît avoir la trentaine et franchement, j'ai rarement rencontré quelqu'un d'aussi sympa caché derrière un caractère en acier trempé et un regard sans pitié.

Malgré tout ca, le petit voyageur en moi reprend doucement ses esprits et à mon plus grand plaisir, Honoré me propose de m'accompagner jusqu'à Fada N'Gourma, la grande ville de l'est Burkinabé, ou il souhaite depuis longtemps rendre visite à une amie.

Contre son conseil, je m'entête à vouloir rallier Fada dans les camionnettes populaires plutôt que dans les gros cars climatisés, sur d'y faire une belle économie, surtout qu'Honoré est à sec, et que je dois donc l'assumer financièrement.

Résultat : 6 heures pour 218km et une économie finale de 0,80€ par rapport au coût des cars qui torchent le voyage en 2h30 maxi...

Chaque hameau ou marcheur fait l'objet d'un arrêt, le chauffeur espérant entasser un client de plus dans le rafiot. La prière est un autre motif d'arrêt, et malgré celle-ci, nous n'échappons pas à la panne d'essence ! L'apprenti descend alors la mobylette garée sur le toit et part bidon en main se procurer les 2L qui nous amèneront jusqu'à la prochaine galère. Ca ne rate pas : comme d'habitude, malgré la promesse d'un trajet direct, le chauffeur se gare et nous revend à un autre chauffeur, dont le véhicule doit attendre la décision des vieux du village voisin quand à un des passagers gravement malades. Les anciens décident de le soigner "à l'indigénat" (grace à la médecine traditionnelle) et nous abandonnons donc le mystérieux passager !

Elodie, malgré le retard, nous accueille avec un sourire qui m'est étrangement familier. Elle est mancelle, et du même lycée que moi ! Elle fait ici son stage de master 2 en anthropologie, dont l'objet est l'étude de l'impact du programme d'alphabétisation d'une ONG locale grâce à des entretiens avec les bénéficiaires ayant achevé la formation. Bilan en demi-teinte, puisque ceux qui ne sont pas placés par l'ONG elle-même suite à la formation trouvent rarement leur place dans un monde du travail verrouillé par ceux qui y sont déjà et qui se répartissent les postes en famille ou à grands coups de Backshishs...

C'est mieux dans les villages ou l'association accompagne la formation de coopératives qui sont progressivement livrées à la gestion des villageois récemment alphabétisés.

On retrouve toujours l'omniprésente corruption et son cortège d'arnaques en tout genre.Scandale récent : sur les 400 000 Francs réservés selon une feuille de comptes à la nourriture d'un groupe durant une formation, seuls 40 000 seront arrivés aux cuisines. Bonne chance pour retrouver les 360 000 restants...

En tout cas, c'est plus qu'agréable de pouvoir papoter avec quelqu'un de mon âge, de mon milieu, qui me comprend et que je comprend. Je crois retrouver chez elle ce regard désabusé sur le monde des ONG qui continue à perfuser à coups de capitaux étrangers une infime partie de la société, souvent plus occupée à protéger sa place privilégiée qu'à tenter d'en faire profiter les autres. A croire que la solidarité s'oublie vite lorsqu'elle n'est plus nécessaire à l'individu...

Rien ne vient combler le fossé qui sépare l'afrique authentique de ces "africains modernes", si ce n'est le torrent humain formé par ceux qui abandonnent l'honnêteté de la terre qu'ils travaillaient pour les promesses mensongères du monde exigu de ceux qui vivent plus ou moins indirectement de l'"aide internationale". Une ONG indépendante finance l'alphabétisation d'un burkinabé puis le salarie pour qu'il alphabétise à son tour les 300 burkinabés attirés par l'exemple ainsi donné, dont aucun ne sera embauché par l'ONG à court de moyens... Honteux de retourner au village qu'ils ont lachement abandonné, beaucoup mentiront sur leur situation, attirant ainsi les 3000 prochains "bénéficiaires" de la formation de l'ONG qui peut maintenant prétendre à un support financier de la part de l'union européenne afin de proposer 5 postes de plus, et ainsi de suite...

13 novembre 2008

Bref retour a Soubaka

J'avais promis à mes hôtes de Soubaka de revenir leur offrir quelques jours de travail, n'ayant rien pu faire durant mon premier séjour. Ils avaient souri.

La mine décidée que j'affiche alors que j'atteins à nouveau le village les contraint pourtant à m'autoriser à accompagner Bayoromou à la récolte du maïs dès le lendemain.

Les trois quarts d'heures de marche qui y mènent se transforment en leçon de brousse : C'est avec les branchages feuillus de cet arbre que Bayoromou confectionne de petites boules qu'il fera bouillir dans le canari, obtenant un jus protégeant ses enfants contre le palu (3 boules pour les filles, 4 pour les garçons.) C'est dans tel autre arbre qu'il me désigne une ruche artificielle, créée à l'aide d'un échantillon de ruche sauvage placé au centre d'un tronc de rhônier évidé. A la saison sèche, les hommes trouvent facilement le temps de s'attaquer aux ruches naturelles. Ils grimpent aux arbres pour les enfumer, faisant fuir leurs créatrices ailées, afin de subtiliser des pans entiers de l'édifice dont ils tireront le précieux nectar. Toutes ces explications sont ponctuées de fréquents tirs au lance-pierre à l'adresse des nombreuses perdrix qui peuplent les branchages à l'ombre desquels nous évoluons. Au champ, Bayoromou réalise ma capacité à l'aider et s'excuse d'en avoir douté, prélude à une agréable journée de travail.

Le soir, chez Bassina, ce sont d'autres branchages que j'aperçois dans le bouillon du canari. C'est un féticheur qui les lui a prescrits pour le défaire de la sorcellerie dont il soupçonne être la victime, rien ne lui réussissant ces derniers temps. Il m'explique alors sa situation, bloqué au village par l'obligation qu'il a de s'occuper de sa vieille mère en tant que premier fils. Son père, il l'a perdu à ses 8 ans, et ce sont les neveux qui ont hérité de toutes les richesses du paternel, comme le veut la tradition. Sa mère, alors incapable d'assumer la petite famille l'a envoyé en côte d'Ivoire ou il a appris le métier de maçon. Trahi lors de l'achat d'un bus avec un "collègue", il est retourné à la terre et s'est fait une situation confortable en exploitant quelques hectares de cacao et café. Ce sont alors les conflits qui l'ont forcé à rentrer au village. Le jeune frère qui s'occupait de la maman à sauté sur l'occasion d'abandonner la charge à l'ainé, conformément à la coutume. Une cousine s'est emparée des terres en côte d'ivoire comme si de rien n'était . Coincé ici,en voulant à la moitié de sa famille,incapable de décrocher le moindre chantier, il attend que dieu fasse tourner la roue en sa faveur en subissant les gémissements de sa vieille mère aigrie.

Sa seule source d'air pur, c'est sa femme, Maorensi, qui garde toujours son petit sourire. Pourtant, elle est bloquée ici avec Bassina, et doit une soumission totale à sa belle-mère, suivant le code familial local.

5h30 le lendemain matin. C'est Fabagné qui me réveille et m'invite à enfourcher mon vélo pour le suivre. J'aurais du retourner au champ de maïs de Bayoromou, mais hier soir, toute la famille a été prévenue que la rizière d'une vieille maman affichait les nuances rougeatres qui exigent une récolte immédiate.Nous atteignons la rizière après 10 minutes de ballade à deux roues, les chevilles fouettées par les herbes ployant sous les rafraichissantes gouttes de rosée alors que la nature s'éveille. On sort alors les faucilles :

Vers 12h00, alors que la majorité des hommes valides de la grande famille s'est progressivement jointe à nous, nous soustrayons aux 10 cm de vase nécessaire à leur croissance les dernières pousses de riz. Nous nous joignons alors à l'un des cortèges féminin qui ont commencé d'acheminer la récolte vers l'aire ou elle sera battue.

Auparavant, la petite troupe se régale du véritable festin de riz que la vieille à fait porter là à l'attention de ceux qui lui rendent service, conformément à la tradition.

Les bols à peine vidés, alors que tout mon corps appelle une sieste, tout le monde se relève et amoncelle un premier tas de pousses de riz auxquelles les coups de baton rythmés vont bientôt arracher les premiers grains :

(petit echange de camera)

Vers 16h00, on donne avec une hargne joyeuse les derniers coups de baton,et, les pousses écartées, ce sont pas moins de 250 kilos de riz qui apparaissent, fuit de la dure journée de travail de 10 hommes et au moins autant de femmes. Le précieux butin rejoint vite les quelques sacs disponibles. C'est arrimés aux portes bagages de nos vélos qu'ils atteindront le grenier de la vieille. Dans la cour ou ce dernier s'érige, un second festin de riz invite à l'excès, accompagné de quelques litres de dolo. 

Il restera une ultime étape avant de cuire le blanc grain des rizières : le pilage, travail exclusivement féminin, qui arrachera le grain à sa cosse, avant que le vent n'envoie cette dernière loin du butin.

Exténué, ayant le sentiment d'avoir "payé ma dette", j'annonce mon départ pour le lendemain matin et passe une dernière agréable soirée au village, discutant des projets d'avenir de mes hôtes auxquels je pourrais facilement donner un sacré coup de pouce. C'est que les modestes euros d'un étudiant français se transforment en une véritable fortune de paysan burkinabé lors de leur passage au faible franc CFA. C'est sur ses pensées que je m'endors, anxieux à l'idée de retrouver bientôt la jungle urbaine...

8 novembre 2008

Une semaine de paix a Ziédougou

J'avale aisément les 7km qui séparent Ziédougou de Soubakaniédougou au petit matin et y trouve Madou, connaissance d'un ami. Il ne faut pas plus de 5 minutes pour que je me retrouve assis sous le manguier, entouré d'une bonne moitié du village, un thé dans la main (le coran ayant conquis le village, pas de dolo ni de bandji ici !).

panorama_sous_le_manguier_ou_l_on_passe_les_heures_chaudes_a_somnoler

Traité comme un prince, je vais devoir discuter ferme jusqu'à ce qu'ils acceptent de me laisser participer aux travaux des champs !

Pendant les 3 premiers jours, ce sera "kaba kari" (la récolte du maïs). Je me lève à 5h00 et enfourche mon vélo pour atteindre le champ, seul avec les premiers rayons du soleil, vers 5h30, afin de profiter de la fraîcheur matinale.

A 8h00, Madou, son petit frère Dramane et les deux cousins à sa charge Lhasso et Fadouga me rejoignent avec la bouillie de Maïs sucrée et citronnée ("baga") dont la déléctation est l'occasion d'une petite pause !

On reprend alors le travail en équipe :

Jusqu'à 11h00 environ, lorsque le soleil me rend la tache insupportable dans cette jungle urticante.

J'abandonne alors l'équipe pour aller dérouler ma natte sous le manguier, me languissant jusqu'à 15h00, entre le repas et les discussions brodées de françafricain et de djoula avec le 3ème âge. Cette génération a vu ses parents et grands frères enlevés par les blancs pour des années de travaux forcés en côte d'Ivoire, dont certains ne sont jamais revenus. Pourtant, la colonisation a très peu changé la vie au village, comme me le confient les anciens.

Seuls l'Islam, les forages assurés par l'état et les peuls (anciens nomades aujourd'hui sédentarisés à l'écart des villages qui ont lentement mais surement dépossédés les locaux de leurs troupeaux) ont modestement modifié leur mode de vie durant ce dernier siècle. Très peu d'enfants vont à l'école et la grande majorité des villageois ne sait ni lire, ni écrire, ni compter en dehors de la monnaie.

J'arrive parfois à m'extirper de ma torpeur pour aller donner quelques menus coups de mains au village, par exemple à la construction d'un nouveau grenier pour stocker la récolte. On fabrique les simili-briques à base de terre humidifiée et de paille , puis on les presse les unes sur les autres, sans oublier de déposer une couche de la substance collante libérée par cette étrange racine.

C'est encore l'occasion de surprendre les femmes au travail. Par exemple celui que demandent les noix de karité, généreusement dispensées par un arbre sauvage. Elles les pilent, les cuisent à l'eau ou à la vapeur suivant différents savants procédés :

C'est une vraie panacée qui offre aussi bien une crème régénérante qu'une huile délicieuse ou encore un véritable beurre. A ces deux derniers produits, on ajoute la potasse des cendres blanches tamisées pour obtenir un savon onctueux.

Vers 15h30, retour aux champs pour arracher encore ces épis que l'on jette en petit tas qui finiront regroupés au bord du sentier grâce aux femmes qui les transportent, comme tout le reste, sur leur tête.

Alors que je saisis machinalement un nième épi, un scorpion s'en extirpe paniqué et passe à quelques centimètres de ma main pour tomber à la même distance de mes pieds. C'est vers 17h30, alors que le soleil amorce sa descente que nous reprenons le sentier jusqu'au village. On profite des dernières lueurs du jour pour aller puiser à la force des pieds l'eau nécessaire à la rafraîchissante douche du soir, un simple mur abritant des regards faisant office de salle de bain. Pour les toilettes, pas de lieu défini, on trouve son pti coin en brousse !!

La douche représente le dernier moment de concentration de la journée et l'on peut enfin s'assoeir ensemble autour du thé et laisser la dopamine secrétée par tant d'effort parcourir le corps, procurant cette douce sensation de bonne fatigue. Plus rien n'occupe l'esprit et la tache accomplie rend le coeur léger. En attendant le thô ou après l'avoir englouti, les seules perturbations prennent la forme d'un petit délice discrètement déposé par une des femmes qui continuent de s'activer en cuisine,ou encore d'une partie de petits chevaux !

Il y en a deux qui ne joueront pas ce soir ! Un des villageois à la main enflée comme un ballon de baudruche suite à la morsure d'un scorpion ! L'autre, c'est Daba, qui passe à moto, le pied dans un terrible état suite àLe_rem_de_pr_t___l_emploi la morsure d'un serpent ! Sous son bras, un canari (les pots en terre) vide destiné au puissant féticheur du coin, qui, après consultation, le remplira d'un savant assortiment de feuillages. On doit y ajouter de l'eau puis faire longuement bouillir le tout, avant de boire une partie du liquide, utilisant l'autre pour laver le pied meurtri. Je viens trouver Daba et sa pharmacopée pour lui proposer une alternative. C'est la pierre noire. Introduite par les missionaires, tous ceux qui ont eu à l'utiliser me l'ont décrite comme miraculeuse. On fixe la pierre sur une incision effectuée au niveau de la morsure, et, comme une ventouse, elle va rester fixée et aspirer le venin jusqu'à disparition de celui-ci ! Mais Daba refuse. C'est que les soins du féticheur le guériront également de la sorcellerie qui pourrait être à l'origine de la morsure. Un voisin jaloux ou un concurrent malchanceux pourrait avoir demandé à un sorcier de jeter le mauvais sort sur Daba !

De mon coté, niveau santé, c'est le retour du staphylo ! Les anciens, après m'avoir vu galérer cinq jours avec l'argile de grand-mère sans amélioration aucune décident de m'offrir le "soigne-tout" local :32225529_m

Mode d'emploi : Déposez quelques gouttes de jus de citron ou d'eau dans le creux de votre main puis frottez-y cette sombre pierre agglomérée qui s'effrite et se dilue pour obtenir une sorte de mélasse. Appliquez alors sur la zone atteinte du mal ou, si le mal est interne, avalez le tout.

Composition : Information strictement innaccessible au blanchot de passage !         

Malgré de premiers soins prometteurs, à l'heure ou j'écris ces lignes, j'ai du me résoudre à utiliser l'artillerie lourde occidentale sous forme d'antibiotique.


Après 3 jours de razzia sans merci dans les champs de maïs, le dernier épi tombe !

On pourrait s'endormir sur cette victoire, mais déja les blancs nuages de coton qui semblent sortir comme par magie de la plante nous narguent dans le champ voisin. On entame donc la récolte dès le lendemain et, la tâche étant un véritable jeu d'enfants comparée au maïs, je peux m'y adonner aux horaires locaux.

L'équipe enfourche ses vélos vers 8h00, après la séance de dopage à la bouillie de maïs. Dès l'arrivée au champ, on commence à détacher consciensieusement la soyeuse offrande à 4 de front :

Vers midi, les femmes opérent le ravitaillement sur place, et le thô disparaît rapidement sous les coups de poignets cadencés qui rythment le pic-nic :

La digestion invite à un petit repos, l'occasion d'en apprendre plus sur la situation de Lhasso et Fadouga, les deux jeunes qui nous accompagnent au travail.

Ce sont les fils d'un frère de Madou. Les quelques années durant lesquelles ils vont travailler avec lui sans relache sont un apprentissage sans faille. Le jour ou ils souhaiteront quitter la cour de Madou, c'est lui qui devra, comme en remerciement du travail fourni, leur offrir les moyens de commencer à travailler leur terre, qu'ils hériteront certainement d'un parent quelconque.

Un modèle d'éducation en place depuis la nuit des temps qui se marie difficilement avec une scolarité à l'occidentale. Les quelques heures de travail qui nous amènent à la tombée du jour sont l'occasion de méditer tout cela... De toute facon, que ferait ce Burkina Faso majoritairement occupé par le travail de la terre d'une génération d'étudiants diplomés ? Les rares places de fonctionnaires ou du tertiaire s'arrachent dèjà à coups de Backshishs !

Le poids du sac augmente imperceptiblement malgré les poignées et les poignées de coton qui s'y engouffrent. A tel point que l'on finit part se demander si l'on travaille réellement pour quelquechose. Surtout que la riche SOFITEX, qui distribue les semences et fournit à crédit les engrais et pesticides indispensables à leur croissance, rachète le produit fini pour quelques 150 Francs CFA (0.22 €) le kilo. Depuis des années, nombreux sont les paysans burkinabés qui abandonnent ce commerce, tant le bénéfice final est faible, voire inexistant. C'est aussi qu'ils ont réalisé qu'après le passage sur une parcelle de la soit-disant "plante à fric" et de la troupe de produits qui l'accompagnent, plus rien d'autre ne pousse !

On pourrait s'insurger devant ce qui est manifestement de l'exploitation pure et simple, de l'esclavage moderne, légalisé, banalisé.

Ce burkinabé qui travaille pour environ 400 Francs CFA (0,61 €) par jour pour enrichir un quelconque groupe d'actionnaires, combien couterait-il à ces derniers s'ils le prenaient comme esclave chez eux, dans leur pays "développé" ? Certainement pas moins de 5€ par jour, le strict minimum pour le nourrir et le loger.

Heureusement qu'on a aboli l'esclavage ! On peut maintenant s'offrir la même chose pour 7 fois moins cher, la distance en prime, pour ne jamais avoir a faire face à la réalité.

J'ai de plus en plus de mal à suivre ce genre de raisonnement qui repose sur la conviction toute occidentale que l'exploiteur qui possède profite de la vie au contraire de l'exploité aux mains vides qui la traverse dans la souffrance.


Chaque jour, la vie me montre qu'elle a su faire les choses d'une bien plus belle manière. C'est au hasard de son humeur qu'elle distribue à chacun, qui qu'il soit, bonheurs et malheurs, petits ou grands.

J'ai la conviction que les plus heureux sont ceux qui savent accepter cet état des choses. Tranquilles tant qu'ils sont en vie, attendant leur tour, ils restent perplexes devant ceux qui courent sans cesse, accumulant toujours plus en quête d'un mieux-être chaque fois ré-évalué à la hausse .

C'est que j'ai eu le privilège de partager la vie pleine de richesses de ces "extremes pauvres", "sur-exploités" car pétris de cette naïveté qui rend heureux de ce que l'on a, l'esprit toujours en paix dans cet environnement "sous-developpé" grouillant de vie, ou les cris d'enfants viennent défier le calme qui émane du pacte que mère nature semble avoir passé avec ces gens.

Et si leur vie ne nous paraissait difficile que parce qu'elle est aux antipodes de celles que nous connaissons ? Et si gratter la terre à la force des bras ou sauter un repas leur était aussi aisé et naturel que rédiger un document où passer une journée seul derrière un bureau l'est pour nous ?

Et si nous ne considérions leur mode de vie comme une gageure que pour mieux éviter de remettre le nôtre en question ? C'est vrai qu'il est toujours plus agréable de faire la liste de ce que nous avons et que notre voisin n'a pas, plutôt que de se forcer à réaliser tout ce que le voisin a en échange et qui nous manque cruellement.

La veille de mon départ, alors que je retourne ces belles idées dans ma tête pendant que mes mains dépecent avec aisance les plants de coton, Fadouga arrive à vélo et s'adresse à Madou en djoula. Madou m'explique :

"Antoine, je dois rentrer au village, mon enfant vient de décéder".

Comment passer d'un petit moment de bonheur simple à l'horreur poisseuse, profonde. Cela fait maintenant une semaine que Madou me cache la vérité et s'occupe de moi, me répétant inlassablement combien ma visite le ravit, plutôt que d'accompagner son propre enfant durant ses derniers jours.

On tente de me rassurer, l'enfant de 8 ans était malade depuis la naissance et tout le monde s'était résolu à le perdre depuis deux ans son état ne fesant qu'empirer.

Chaque crêpe, réalisée devant une assemblée silencieuse et d'abord perplexe, sera déchirée en une myriade de petits lambaux par les femmes qui les distribueront à l'assemblée ravie. Jusqu'à ce que la dernière glisse enfin de la "poele" sur le coup des 01h du matin. Suivent les aurevoirs, échanges d'adresses et petits cadeaux, car mon départ est prévu au petit jour, avant que le village ne s'éveille.

Et je dois dire qu'au vu des tristes récents évènements,je suis soulagé de laisser la communauté s'y consacrer pleinement.

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Ce sont les peuls voisins qui ont tiré de leur bétail le précieux lait, tandis que le boulanger m'a fourni un kilo de sa farine (je lui apprend au passage que la farine de blé n'est pas produite à partir du maïs comme il le croit, lui qui n'a jamais connu que cela). Hélas, les oeufs ne sont pas venus du marché comme prévu ! C'est le début d'une procession de femmes qui, se passant le mot, viennent une à une déposer un, puis deux, jusqu'à 5 des oeufs de ces poules qui parcourent le village en permanence, pondant à l'abri des regards.

A mon arrivée au village, Madou me présente toujours le même sourire et me jure qu'ici la perte d'un enfant est trop fréquente pour que l'on se permette d'en faire un drame. Il me prie de maintenir la soirée crèpes prévue pour mon départ.

6 novembre 2008

Une étape imprévue a Soubakaniédougou

Réveil à 5h30.
Mon petit vélo d'emprunt et moi sommes prêts dès 6h00, espérant parcourir les 50km qui nous séparent de Ziédougou, le village ou je souhaite me rendre avant que l'infernal soleil ne commence à cogner.

Mais voilà, la piste est dans un triste état  :

Après 4 heures de route, il me reste encore 10km à parcourir !

Lorsqu'une femme épluchant son maïs m'interpelle, je saute sur l'occasion pour déposer le vélo et la rejoindre à l'ombre de sa cour. Quelques minutes plus tard, son mari qui maitrise quelques rudiments de français nous rejoint et après deux heures d'épluchage de maïs, je suis invité a déguster mon premier thô !

C'est le plat quotidien, préparé par les femmes avec la farine du maïs que tout le monde cultive ici et de l'eau. C'est plus ou moins fade, tout repose donc sur les différentes sauces (arachide, gombo, sésame, da, baobab et j'en passe) qui l'accompagnent. Le midi, une femme de la famille élargie prépare de grande quantitées pour tous les foyers, mais le soir, chaque femme s'occupe de son mari et de ses enfants. Les téléscopages ne sont pas rares, et il arrive que trois thô se succèdent ! Ce sont alors les enfants, qui recoivent toujours les restes, qui pourront manger à leur faim.

Que ce soit avec la famille de Bassina ou celle de Bayoromou ou encore à la buvette de Fabagné je retrouve enfin l'incomparable accueil de la brousse (la campagne) africaine. Ces paysans m'invitent de bon coeur à partager le peu qu'ils possèdent sans rien attendre en retour. Il faut chaque fois se battre pour qu'ils acceptent de menus cadeaux comme du thé ou quelques bananes.

C'est tout l'opposé de l'accueil réservé au "toubabou" (le blanc) dans la ville, sans cette harcelé, le plus souvent par des sortes de guides vite reconnaissables : jeunes, coiffés de dreadlocks (ternissant ainsi la culture rastah), ils se présentent comme artiste et vous proposent une amitié tout sauf sincère (cachant même généralement un certain mépris) pour vivre à vos dépends quelques jours, profiter de la puissance de l'euro, se rapprocher un peu de cette europe qui les fascine...

Enfin loin de ceux-là, je décide de rester quelques jours à Soubaka. C'est l'occasion pour Bayoromou de m'emmener jusqu'à ses terres :

J'y découvre son "kaba" (le maïs), ses "sosos" (les haricots locaux, dégustés baignant dans l'huile de karité), son "béné" (le sésame), ses pois de terre et son micro-élevage de volailles. Tout en rallumant son feu, il m'explique qu'il cultive tout cela sans engrais ni pesticides. Le labour et le butage sont assurés par les boeufs d'un voisin pheul, à condition que la femme de Bayoromou se charge d'effectuer les semences chez ce dernier, fonctionnement qui ne lui permet jamais de labourer toutes ses terres.

Ses récoltes serviront à nourrir sa famille, même si il devra parfois en vendre pour assurer les frais médicaux, scolaireset autres rares dépenses. La quasi-totalité des familles du village fonctionnent de cette manière, ayant rarement eu plus de 50€ de liquide entre les mains !

Les heures chaudes se passent à discuter sous la manguier, autour d'un verre de thé, et je m'évertue encore et toujours à rectifier la vision enchantée qu'ils ont de la France.

Parfois, on met le thé de côté pour accueillir une calebasse de "Drô" ou "Dolo". C'est la boisson alcoolisée locale, en fait une bière de Sorgho. Les femmes en font germer les grains avant d'assécher les germes au soleil. Elles font alors bouillir le tout, avant de recuillir le liquide par filtration. Reste à ajouter la levure et c'est prêt ! C'est l'heure des bénéfices, à 25 Francs CFA (0,4 €) la calebasse de 75clIMGP0869 environ !!!

Peu amateur de bière, c'est plutôt le soir que je peux me régaler, quand les rhôniers ont laissé leur sève s'écouler dans les calebasses de ceux qui la récoltent. Sucrée pendant quelques heures, elle fermente très vite et c'est ainsi que les locaux aiment consommer "le Bandji" vendu 75 Francs CFA le litre (0,12 €). Doucement saoulés, une petite danse s'improvise parfois à la buvette .

Il ya beaucoup de travail en ce début de saison sèche, toutes les cultures ont fini de se gaver des pluies de l'hivernage (la saison des pluies qui dure 4 à 5 mois de mai-juin à septembre-octobre) et c'est l'heure des récoltes pour tout le monde ! J'aimerais pouvoir participer mais on m'attend à Ziédougou ! J'ai tout juste de le temps de démarrer une prépinière d'Artemisia Annua (une plante efficace contre le paludisme) avec Bassina et j'enfourche à nouveau ma monture, direction Ziédougou, promettant de revenir participer aux récoltes en remerciement à mon retour.

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