Chez les petits hommes de la grande forêt
1er jour :
Un pti bus pour Yaoundé, puis un second vers Lomié et, déjà, ca commence à sérieusement sentir la forêt :
Reste à dénicher une de ces tribus de petits hommes (par ici, ce sont les Bakas) qu’elle abrite ! Pas de soucis, ma bonne étoile s’est encore occupée de tout : Mon voisin de trajet, éco-garde au parc national du Nki, connait les forêts de la région comme sa poche.
Dès notre arrivée à Lomié, il me confie à un ami du coin, Alex, et sans transition, on entame les deux heures de marche qui nous séparent de la réserve du Dja.
A l’entrée, c’est le drame : l’éco-garde veut me coller un guide officiel 24h/24 ainsi qu’un porteur ; pour la modique somme de 300€ les 15 jours. Heureusement, on est en Afrique, et comme je suis Anatole, anthropologiste fauché dépêché par le CNRS pour étude officielle, ce sera finalement 8 € les 15 jours, sans guide ni rien !
Satisfaits, on peut se remettre en route...
Au bout d’une heure environ, je crois entendre des cris d’enfants…
Ce sont bien des huttes que j’aperçois là-bas !
Soudain, j’hésite presque à effectuer les quelques pas qui me séparent encore de mon rêve de gosse…
…qui se brise net : pas de cache sexe végétal ni de scarifications effrayantes, pas même un petit os de panthère en travers du nez. Aucune trace non plus des sarbacanes empoisonnées et autres totems d’ivoire ! La forêt elle-même est moins grandiose que je l’imaginais !
Certes, je suis de loin le plus grand du village (le kif !) et les femmes ont les dents taillées en pointe, mais la comparaison avec les reportages d’ARTE s’arrête là.
Les 2 huttes et autant de cases qui constituent les lambeaux du campement déserté suite à une récente épidémie n’abritent plus que deux familles lourdement dépendantes du village Bantou (C’est ainsi que l’on nomme les locaux de taille « normale ») tout proche.
En effet, les Bakas ne pratiquent pas ou très peu l’agriculture. C’est aux champs des bantous qu’ils travaillent, à la journée, pour se procurer la nourriture.
Pire que tout, ma venue n’étonne personne. Situé le long d’un sentier de réserve nationale, le campement est habitué au passage des touristes.
Je ne veux pas croire Alex lorsqu’il m’assure qu’il n’existe plus de communautés Bakas auto-suffisantes isolées en forêt. Je veux en avoir le cœur net, et, avant qu’il ne m’abandonne à mes petits hôtes, nous nous mettons d’accord pour que deux de ceux-ci m’accompagnent dès le lendemain jusqu'à un autre campement, Mempalé, situé au cœur de la réserve, à une journée de marche.
Jusque tard dans la nuit la petite communauté va danser au rythme du « Ndum » et des verres d’alcool de raphia (un genre de palmier) distillé qu’Alex m’avait conseillé d’offrir en plus du sel et des lames de rasoir. Pour moi, le spectacle laisse un arrière-gout amer de show pour touristes alors que je vais me coucher dans la hutte que l’on m’ouvre.
Cette nuit, je redécouvre le froid !
Le petit jour me tire hors de ma hutte d'où j'aperçois les hommes autour d'un bidon au contenu blanchâtre, à moitié ivres.
Mon réveil annonce le maigre pti déj' : manioc bouilli et soupe de poisson :
C'est Ndaka qui l'a pêché à l'aube, et c'est encore lui qui se prépare à m'accompagner à Mempale; le chef complétant la fine équipe.
Ce dernier remplit un bidon du blanc breuvage et se munit d'une canne a pêche tandis que Ndaka attache un tubercule de manioc à son sac à dos végétal.
Alors que chacun s'empare d'une machette, une femme ramasse un sac plastique dégueulasse qui traînait au sol et y fourre quelques morceaux de manioc bouilli. En route pour Mempale !
Je m'adapte tant bien que mal au pas rapide et assuré de mes compagnons :
Déjà, la forêt se fait plus dense, plus sombre, mes sens sont assaillis par l'inconnu. Ces odeurs, ces sons, cette fraîcheur lourde...
Franchement, c'est ouf ! Les reportages d'ARTE, au fond, je m'en contrefous; il est grand temps que j'arrête de cracher dans la soupe !
Je commence tout juste à découvrir mes compagnons (les salops ! Ils ont déjà liquidé le bidon !) grâce au français rapiécé de Ndaka, mon seul relai de communication du séjour.
Très vite, ils comprennent ce qui m'intéresse.
Ndaka marque un stop : Il a reconnu le feuillage d'une petite liane (« Nké-Nké ») qu'il suit jusqu'à la racine.
Il s'agenouille pour déblayer celle-ci à la machette. Plus on s'enfonce, plus elle grossit.
Bientôt, c'est un énorme igname sauvage que Ndaka extrait du sol :
Il en arrache l'extrémité puis la remet en terre afin que, l'année prochaine, lui ou un autre Baka attentif profite à nouveau de l'offrande de la forêt.
Inutile de s'encombrer : on cache le tubercule un peu plus loin en attendant le retour.
Ndaka profite de l'arrêt pour sérieusement entailler l'écorce d'un arbre voisin sans pour autant s'en emparer, comme par pure méchanceté :
- « Tu fais quoi ? »
- « Une lampe »
Ah...? ...Bon !
En en discutant avec eux, je réalise que de toute façon, ils seraient incapables de le gérer :
« Si si chef ! Le blanc a raison. Si on vendait par exemple deux gigots de biches à 2000 F, ça nous ferait déjà 400 F, du coup, on pourrait se payer 5 litres de vin a 150 F ! » ©Ndaka 2009.
Je commence tout juste à comprendre comment les bantous exploitent si facilement les petites gens.
Impossible d'y réfléchir en marche, cette dernière exige toute ma concentration, en particulier lorsqu'il s'agit de jouer les funambules sur les troncs couchés qui permettent de traverser les nombreux cours d'eau, parfois à plus de 5m de haut ! :
En parlant d'eau, Ndaka s'arrête bientôt près d'une liane et m'explique qu'elle en est gorgée. En cas de besoin, on tranche et il ne reste qu'à porter la bouche « au robinet » !
On reste dans les liquides avec la halte suivante : une case bantou, au milieu de nulle part, où l'on vend de l'alcool distillé artisanalement. Je comprends vite le message : mes guides ont besoin de carburant, et voilà justement la station service. Des alcooliques finis je vous dis !
Puis ça repart. Un pied devant l'autre. Il fait chaud. Une liane après l'autre. Trop chaud. Une montée de fièvre me surprend. Je panique (« Putain, merde ! Je suis à 1 journée de marche de la civilisation, avec deux pochtrons !! »).
Je souffre en silence jusqu'à l'étape suivante : le campement Baka de Meïbot situé au cœur du village Bantou du même nom, où je m'écroule... ...et me réveille une heure plus tard, sous les regards médusés des habitants.
Ici, chaque famille Bantou a une famille Baka à son service, et la relation se transmet de génération en génération.
Ravigoté par mon petit coma, je donne mon feu vert pour la dernière ligne droite (façon de parler !).
Peu avant de toucher au but, le manioc bouilli, recouvert de terre à sa sortie du sac plastique, se transforme en festin sous l'effet de la faim.
Puis la désinfection se fait de l'intérieur, avec une bonne rasade du tord-boyau local, dont mes compagnons s'envoient 75 cl d'une traite !
Nous voilà enfin à Mempalé, le hameau Baka le plus reculé de la réserve du Dja !... ...décevant... Là encore, les bantous sont tout proches et en relation étroite avec leurs petits semblables.
On m'avait prévenu...
J'achète quand même un singe pour récompenser mes compagnons et c'est chez Joël, le beau-père du chef, que l'on va le préparer puis le partager :
Joël a passé la journée à défricher pour un Bantou :
- « Et ils t'ont payé comment ? » Il hésite...
- « Euhhh... avec du petit tabac »
- « Seulement un peu de tabac ? »
- « Non, pas du tabac, du petit tabac !»
Il détache un petit paquet... ...plein de cannabis !
Les bantous en cultivent ici depuis des générations « en même temps que les arachides, c'est bon pour la terre ! » principalement pour la vente ou pour satisfaire leurs petits employés.
Évidemment, ça rappelle un peu le féodalisme, en pire, puisque les grands seigneurs payent leurs petits cerfs avec des produits provoquant une dépendance. On y reviendra.
Les huttes qui nous entourent semblent désertes. Joël nous explique que le poisson se fait rare aux alentours du village. Il y a une semaine, les bakas ont décidé de partir en forêt à la recherche de meilleurs coins de pêche. Aux dernières nouvelles, ils étaient à une journée de marche du village.
Il n'en faut pas plus pour que je tanne mes compagnons fatigués « Dites, on peut y aller ? Hein, dites ? Allez !!! »
Ils cèdent facilement.
Joël, de son côté, s'est emparé de sa guitare et nous offre une de ces petites veillées en chanson, inoubliable... (J'ai bien pris soin d'enregistrer le tout avec mon appareil... ...avant de réaliser qu'il n'a pas de micro...)
3ème jour :
Courte nuit.
Petit déj rapidos, et zou, une autre journée de forêt, en hors piste !
L'occasion pour mes ptis potes de m'expliquer que j'ai de le chance : D'habitude, à cette saison, les bakas restent au campement.
C'est à la saison des pluies qu'ils retrouvent le nomadisme pour des « campagnes » de pêche, de cueillette (miel, mangues sauvages, etc...) ou encore de grandes chasses qui peuvent durer des mois.
Les buffles, les éléphants et autres gorilles sont parfois à moins d'une journée de marche de Mempalé et malgré la loi, beaucoup les traquent encore. Il suffira de reverser quelques miettes des fortunes en jeu aux autorités pour s'offrir leur silence.
A mi-chemin, on tombe sur les restes d'un bivouac récent : les talents de pisteurs de mes anges-gardiens se confirment ! Cette fois, ils en sont certains, c'est dans « la maison que la forêt a construite pour les bakas » qu'on trouvera leurs frères et sœurs...
...Et quelle maison ! :
Un immense rocher encastré au sommet d'un petit surplomb offre un gigantesque abri naturel :
Les foyers des feux de camps qui jouxtent les couchages de fougères fument encore : nous sommes bien arrivés !
Ils viennent de rentrer, accompagnés des mamans aux paniers chargés de fruits sauvages dont elles extraient déjà les noyaux tandis que d'autres bambins se chargent de les faire griller sur le champ !
La nuit est déjà avancée lorsque les hommes rentrent avec le résultat d'une journée de pêche.
Il sera fumé le soir même et dans 4 ou 5 jours, les femmes apporteront le butin cumulé jusqu'à Mempalé en échange du manioc, du tabac, du petit-tabac et de l'alcool nécessaires à la vie de la petite communauté du rocher.
Les bantous retireront un bénéfice d'environ 95% lors de la revente du même poisson au marché de Lomié. Un commerce tout sauf équitable, mais encore une fois, on y reviendra !
En attendant, notre part est déjà sur le feu sous la surveillance des femmes auxquelles Ndaka a également remis notre manioc.
Le dîner a comme un petit arrière-goût de conte de fées sous la sombre voûte rocheuse somptueusement parsemée d'improbables étoiles clignotantes...
Le spectacle nous est offert par des lucioles volantes attirées la haut par la chaleur que la roche diffuse.
4ème et 5ème jour :
Nous, Joël, il est temps qu'on l'abandonne sur sa pirogue !
Je tente un ultime caprice : « Dites, dites, on va voir les gorilles, hein, allez, sioupléééé !!! » Les regards que l'on me renvoie ne laissent pas de place au doute : le tourisme a assez duré.
C'est donc le retour : 2 jours de marche silencieuse, concentrée, dans cette forêt qui se transforme en véritable centre commercial.
Au rayon condiments, mon escorte a repéré une liane comestible : Mikanda :
Direction le rayon petit-déjeuner ou une infime ouverture dans le sol trahit la présence d'un essaim d'abeilles souterrain ! Certes elles ne piquent pas mais aujourd'hui, pas de bol, aucune trace de miel !
Plus loin, on retrouve notre tubercule dans le caddie, au pied de l'arbre sur lequel l'intriguante entaille faite 3 jours plus tôt est déjà couverte d'un amas puant de sève coagulée. On en recueille un maximum dans notre sac de courses fait de 4 feuilles de boboko savamment disposées, déchirées puis nouées par les tiges.
C'est donc avec ça qu'on va faire une lampe ?!...
Dès notre retour au hameau, on s'occupe de nos achats :
Le ciel s'assombrit déjà alors que le chef s'efforce de rouler comme un gros cigare plein de cette sève puante collectée plus tôt dans une feuille de Boboko.
Il attache le tout puis en approche une des extrémités du feu dans lequel cuit Mikanda, notre liane.
Dans un crépitement genre fusée de détresse, la simili-bougie s'enflamme.
Voici donc la fameuse « lampe » Baka, à la lueur de laquelle nous allons bientôt attaquer le dîner, sans pitié pour Mikanda.
Pas le temps de souffler : le Ndum commence à vibrer et jusque tard dans la nuit, nous danserons, fêtant notre retour avant que je ne rejoigne ma hutte métamorphosée en suite royale : Matelas de fougères et petit feu d'intérieur ! (Bon, j'avoue, j'ai tout pompé sur le voisinage !)
La suite au prochain numéro !...
Joël n'a pas attendu mon réveil pour partir à la pêche.
Chaque jour, il trouve 50% de son poisson en cinq minutes grâce au filet qu'il a tendu en travers du cours d'eau tandis qu'il lui faudra le reste de la journée pour pêcher les 50% restants à la ligne, profitant de la pirogue pour mieux surprendre le poisson.
Bien entendu, n'importe quel bantou aurait depuis longtemps tendu un second filet, puis un troisième, etc , accumulant toujours plus de poisson donc plus de richesse.
Joël, de son côté, n'en voit manifestement pas l'intérêt. Occuper ses journées et en retirer de quoi nourrir sa famille semble lui suffire.
C'est ce genre de comportement qui fait passer les Bakas pour des idiots auprès des bantous.
Pourtant, là ou cet idiot de Joël ne prélève que le poisson dont il a besoin, ses enfants et les enfants de ses enfants trouveront toujours du poisson.
Les enfants du génial bantou aux 50 filets, eux, pourront toujours essayer de mettre leurs billets de banque dans la soupe lorsqu'il ne restera plus une once de vie dans leur rivière...
Mbenda entreprend de faire sécher le petit duvet de palmier avant d'y ajouter de la cendre de peaux de bananes séchées, brulées et enfin broyées.
Yucca, de son côté, s'affaire autour d'un petit bout de lame de machette qu'il recouvre de poils de biches avant de le carboniser et de le courber pour former un U.
Ndaka s'en empare alors, demande à Mbenda de lui remettre le duvet amélioré et sort la banale petite pierre de sa poche afin que j'assiste à mon premier allumage de clope au briquet Baka, le « Sawala » :
Enfin, on reste au rayon quincaillerie pour se procurer une poignée de ce petit duvet qui recouvre les branches du palmier à huile.
- « Pour quoi faire ? »
- « Bah, un briquet ! »
Ouais... Évidemment !
En route vers la caisse, Ndaka ramasse une banale petite pierre et devance ma question : « Ça aussi, c'est pour le briquet ! ».
Exténués par tout ce shopping, on a bien mérité une petite pause à la cafét' ! :
La nuit pointe déjà le bout de sa lune, il faut penser à se mettre en quête de quelques feuilles de boboko qui nous isoleront de l'humidité du sol pour la nuit, ainsi qu'un peu de bois mort pour le feu qui achèvera de nous tenir au chaud.
Les bakas ne se couvriront pas ce soir : ils préfèrent boire une tisane à base de l'écorce d'un arbre tout proche afin de maintenir la chaleur de leur corps jusqu'au matin suivant.
Hélas, je rate la dégustation, attiré un peu plus loin par des cris d'enfants que je surprend en pleine session « balançoire 100% Bio » :
La marche reprend, jusqu'au prochain motif d'arrêt : l'un des innombrables pièges bordant les sentiers dont Ndaka me démontre le fonctionnement.
Le gibier est omniprésent ici : Lièvres, biches, antilopes, porcs-épics et autres créatures étranges se prennent régulièrement au collet et font l'objet d'un commerce plus ou moins légal mais toujours lucratif !
Pourtant, contrairement aux bantous, les bakas ne vendent jamais leurs proies : ils préfèrent encore le goût de la chair à celui de l'argent.